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CHRONIQUE.

sez cruelle pour ne pas fournir aux magistrats l’occasion de réviser l’arrêt fatal qui condamne à mort ce capitaine de vingt-sept ans, dont tout le monde sait le nom aujourd’hui ! Quelle atteinte était donc portée à la justice, si le pourvoi avait été accepté, s’il y eût eu une enquête nouvelle, un autre jugement, si, au lieu d’être rendue sur la terre d’Afrique, la sentence eût été rendue par des juges assis de l’autre côté de la Méditerranée ? Les faits étaient peut-être éclairés d’un nouveau jour, et cette fois personne n’eût gardé une crainte et pas un juré ne pourrait avoir un remords. Ce n’est point de ma part une protestation. Je suis comme bien d’autres ; j’entends d’ici le frère du condamné qui pleure, je vois Doineau se promener, pâle et défait, dans sa prison, et je jette mon cri de pitié. Et Ben-Hadj trouvera-t-il grâce auprès de l’empereur ? On dit que l’impératrice a accueilli avec tendresse son jeune fils, et peut-être emportait-il, en quittant le palais, une heureuse espérance ! Comme on le regardait, l’autre jour, aux courses du bois de Boulogne, faisant caracoler son cheval, enveloppé dans son burnous blanc doublé de rouge ! Était-ce lui vraiment ? on l’assurait de tous côtés. Pauvre enfant ! ce n’est pas à son âge qu’on comprend l’horreur de ces situations, et puis, il croit son père innocent, il le sait, il le jurerait par Mahomet, il mettrait sa petite main au feu pour le sauver. C’est plus tard, quand il aura grandi, quand il aura dix ans de plus, que viendra la souffrance, que les jours seront tristes et les nuits douloureuses.

L’autre soir cependant, je me demandais avec inquétude s’il n’y avait pas aussi pour l’enfant des ennuis, des chagrins, et même de grandes douleurs ! Je voyais passer, au bras de leur mère, les pauvres collégiens, qui humaient une dernière fois l’air pur de la liberté, et prenaient lentement, le plus lentement possible, les malheureux ! le chemin du collége. Oh ! le collége, avec ses grands murs noirs, ses fenêtres grillées, son portier inflexible ; d’où ne s’échappe pas un bruit, muet et triste comme la Tour de Londres. Je me rappelle encore ces heures de tristesse amère, de désespoir profond, quand j’étais là comme un assassin, surveillé, muselé, humilié, battu. Car on battait dans ce temps-là au collège, sans faire de mal, je le veux bien, mais non sans blesser jusqu’au sang l’amour-propre de ces pauvres petits garçons si innocents et si joyeux ! M. Maxime Ducamp a écrit sur la vie de collége quelques pages heureuses. C’est à coup sûr ce qu’il a fait de mieux, dans le cours de sa carrière d’écrivain. Il y a là le récit d’une révolte, intéressant comme une narration de bataille, émouvant comme un duel des temps passés. La révolte ! un grand mot ! Et, ma foi, nous étions quelquefois habiles, éloquents et braves comme des hommes. Mais il y avait toujours un traitre, ; et l’on venait à bout des nouveaux Cipayes ; et le soir même, les plus mutins étaient renvoyés à leur famille. J’en ai vu qui souffraient alors comme des exilés quand ils disent. adieu à la France ! Quelques-uns allaient être rossés, enfermés, jetés comme employés derrière un comptoir, peut-ètre envoyés comme mousses sur le pont