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CHRONIQUE.

Aloys est composé dans le genre des nouvelles de madame de Duras, dont il fréquenta longtemps le salon. Dans Romuald, public après la révolution de 1848, il se montre, comme la plupart des gentilshommes de cette époque, libéral et catholique. Il laisse, dit-on, une Histoire de la dernière République romaine, écrite sans doute dans le même sentiment, et un Traité du surnaturel. Il a écrit encore l’Espagne sous Ferdinand VII, et une série de voyages en Suisse, en Sicile, en Allemagne et en Angleterre. L’ouvrage que l’on connaît surtout et qui a fait sa réputation dans le public est la Russie en 1839. On a écrit et murmuré tant de choses à ce sujet que je crois inutile d’en parler davantage. On sait moins généralement qu’il fit représenter à la Porte-Saint-Martin un grand drame que l’on appelle Béatrice de Cenci. La pièce fut montée à ses frais. Harel, cet homme de tant d’esprit et de si peu de cœur, arracha au marquis des sommes considérables. Le marquis était assez riche pour se payer cette fantaisie. Mais il joua de malheur. Le drame paraissait destiné à un éclatant succès. Frédérik-Lemaître et madame Dorval faisaient merveille, quand madame Georges, jalouse du triomphe de l’actrice, usa de son influence sur Harel pour arrêter le cours des représentations. Harel était payé, il ne perdait rien. Il fit sans doute sur le marquis un mot charmant, Alexandre Dumas applaudit, et le drame disparut de l’affiche.

C’est là, si le fait est vrai, qu’on me laisse placer ici un point d’interrogation, c’est là une petite lâcheté, de ces lâchetés admises, qu’on commet sans danger, bien qu’elles tuent ceux qu’elles atteignent. Quelle admirable pièce on pourrait faire avec un pareil titre ! Deux auteurs déjà fort connus, MM. Anicet Bourgeois et Adrien Decourcelle viennent de l’essayer au Gymnase. Je ne sais s’ils ont réussi. Je n’ai guère entendu que la moitié d’un acte, et je n’ose vraiment formuler une opinion. Les petites lâchetés ! il y avait là tout à la fois une comédie et un drame. Combien j’en ai vu tomber sous le coup de ces protections hypocrites, de ces dévouements calculés, de ces perfides plaisanteries ! Je connais un exemple assez drôle de ces méchancetés cachées, déguisées sous la flatterie, douillettement enveloppées dans du coton. Un auteur dramatique avait une pièce reçue à un théâtre des boulevards. Il avait lieu de compter sur un public favorable. La moitié de la salle était à lui. Il avait placé des amis partout ; le parterre, les loges, premières, secondes et troisièmes étaient pleins de billets donnés. On devait faire un train d’enfer dans le paradis. Ce jour-là on jouait deux pièces. L’autre était d’un rival, d’un ennemi personnel même — un lever de rideau. Par pudeur, notre homme n’avait pas parlé à ses amis de la conduite à tenir vis-à-vis de celui qui partageait avec lui les honneurs de la représentation. Les places une fois distribuées, les Romains avertis, il se retire tout tremblant dans les coulisses, pour faire répéter les situations difficiles, pour donner une dernière fois le ton aux acteurs. « Vous me reverrez à la fin de la représentation, mort ou vainqueur. Je compte sur vous, dit-il aux chefs de claque en leur serrant la main. »