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LE PRÉSENT.

souvent ! J’eus le douloureux avantage de voir Gérard deux jours avant sa mort, et je racontais quelquefois à Planche les détails de cette courte entrevue. Il soupirait bien fort et nous l’entendîmes nous dire un jour que peut-être il mourrait ainsi. Il voulait, lui, se brûler et anéantir jusqu’à la dernière parcelle de lui-même. Il savait, je crois, disons-le en passant, la gravité de sa maladie. Depuis trois ou quatre ans, il se plaignait de ses souffrances, ses jambes refusaient le service, comme on dit, et c’étaient quelquefois, au milieu d’une phrase commencée, des cris de douleur atroces. Nous ne savions au juste de quoi il souffrait. — Si je pouvais prendre les eaux, disait-il, je le sens, je serais guéri. Les eaux, c’est bon pour les riches. Quelle vie ! murmurait-il tout bas, en étouffant une plainte. Et nous ne savions, pour le consoler, que lui conter quelques histoires et lui faire quelques plaisants mensonges. Peut-être est-il mort parce qu’il n’osait avouer son mal. Planche n’avait pas de vices, et l’on ne peut attribuer aux excès les ratages exercés sur cette robuste nature. Mais on lui avait dit si souvent qu’il étàit malade de la peste, qu’il n’était qu’un lépreux, et mourrait d’une maladie de peau, que te malheureux avait peur de montrer ses jambes. Qu’on ne rie pas, mais qu’on y songe ! Les eaux, un traitement de quelques mois, l’eussent guéri. La honte l’empêcha de voir un médecin. Certes, je ne suis pas le seul à penser ainsi. La plupart de ceux qui vivaient dans son intimité croient qu’il existerait encore si la crainte du monde ne l’avait retenu. Peut-être nous trompons-nous, mais si nous disons vrai, quelles réflexions douloureuses doivent venir à l’esprit, et quels regrets monter au cœur ! Il est un mot qu’on a fait pour le vieux Molière ; un mot qui vaut à lui seul mieux que toutes les formules de l’admiration » Ce mot, je l’appliquerai sans crainte à Gustave Planche, et j’écrirai volontiers au front de son cercueil Ci-gît un grand honnête homme.

Faut-il parler maintenant de M. de Custine, mort, aux premiers jours de ce mois, à Saint-Gratien près de Paris ? Son nom se rattache naturellement à celui de Balzac, avec lequel il entretint une correspondance suivie ; une armoire tout entière est pleine de lettres à lui adressées par le grand romancier. On a même trouvé un grand article de ce dernier sur le Monde tel qu’il est, un roman de marquis dans lequel, dit-on, il fait allusion à des détails personnels de sa vie. L’article a été acheté par Dutacq dans une vente d’autographes. C’était fort long et très-flatteur. Chose singulière ! Balzac, après avoir épuisé les formules de l’éloge, quand il arrive à la partie critique, reproche justement à l’auteur les défauts qu’on lui a reprochés à lui-même : trop d’amertume et de pitié. Outre le Monde tel qu’il est, son œuvre capitale, M. de Gustine a publié plusieurs romans, dont les titres paraissent drôles aujourd’hui :

Eohel, 2 vol. ;
Aloys, ou le Religieux du mont Saint-Bernard, 2 vol. ;
Romuald, ou la Vocation, roman dédié au peuple roumain.