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LE PRÉSENT.

On sait que Balzac avait été chercher Planche pour l’attacher à sa Chronique de Paris. Ce jour-là justement, il devait lui lire, devinez quoi ? une comédie ; une comédie qui n’a jamais paru et ne fut du reste jamais finie. Si mes souvenirs sont exacts cependant, la comédie était en vers. Arrangez cela avec les idées si connues du romancier sur la poésie, et dites-moi que je me trompe ; je crois, Dieu me pardonne, que je dis vrai, mais passons.

Le grand critique avait le mot d’ordre. Il parlemente, il dit son nom, demande M. Guillaume — Balzac se faisait appeler M. Guillaume — on laisse entrer chez M. Guillaume. Balzac serre la main à son collaborateur de la Chronique de Paris, et sautant sur son manuscrit, entame la lecture. Quel était le titre, le sujet ? Etait-ce de la prose ou des vers ? Encore une fois, je l’ignore. Toujours est-il qu’à la fin Balzac invite son auditoire à dîner.

« Volontiers,» dit Planche un peu fatigué. Il croyait qu’on dînerait dans la maison, et que les gardiens mettraient la nappe sur la table du milieu.

Mais non — l’on descend les escaliers. — Bon appétit, monsieur Guillaume, font les geôliers en s’inclinant.

— Merci, répond Balzac en poussant Planche devant lui ; et l’on arrive chez Véry.

Ce fut un dîner de Sardanapale. Des flacons de Constance, du vin du Rhin, des choses chères comme tout, disait Planche en riant dix minutes avant la fin de son histoire.

Le grand critique découpait la viande, — le romancier découpait le monde, et en faisait des parts.

— Voulez-vous l’ambassade de Constantinople ? disait-il à Planche en le tirant par les boutons de son habit. Le ministère de l’instruction publique vous irait peut-être mieux ? malheureusement, j’y ai mis quelqu’un. Nous arrangerons ça. Il me reste l’Espagne, vous n’en voulez pas ?

— Je veux bien, répondait Planche, en se léchant les doigts et en buvant des choses chères.

Enfin en passant par le Cap, la Hongrie et le Rhin, les truffes et le faisan, on arrive au terme du voyage.

— Payez, dit Planche en cherchant sa canne, et allons-nous-en, je pars pour Constantinople.

— Dépêchons-nous, nous avons à peine le temps, dit Balzac. Garçon, la note ! La note arrive, un chiffre énorme ! On avait eu des choses si chères ! Balzac lit la note, la met dans sa poche, prend son chapeau.

— Nous partons ?

— Et la note, payez donc ? le garçon attend.

— Oui, mais je n’ai pas d’argent.

— Vous avez oublié votre bourse ?

— Non pas, je n’ai pas un sou depuis une semaine.