Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LE PRÉSENT.

l’empire de la terre ; le Vaiçya acquiert la fortune, et le Coudra même, en les écoutant, sent grandir son âme et son cœur. »

Pour nous, barbares (mléckas), restés en dehors de la hiérarchie et de la société de Manou, contentons-nous de rechercher, sous les voiles du mythe et de la poésie, le sens historique que renferme le grand poëme de Valmiki.

Quinze ou dix-sept siècles avant notre ère, l’antagonisme des races diverses que les immigrations avaient juxtaposées sur la terre de l’Inde, accru par des luttes et des rivalités séculaires, avait atteint les derniers degrés de la haine et de l’acharnement. Les rameaux du tronc arian, qui devaient couvrir cette terre, n’en occupaient encore qu’une zone assez étroite entre l’Hymalaya au nord et les Vindhyas au sud, et qui, dépassant peut-être le Sind du côté du couchant, n’atteignait pas, du côté Opposé, aux limites orientales du Bengale actuel. Une vingtaine de cités, centres d’autant de monarchies, sièges d’autant de rois se disant tous descendants de Manou, s’élevaient dans cet espace dont les intervalles, parsemés de bourgades de Vaiçyas adonnés à l’agriculture et à l’élève des bestiaux, l’étaient aussi de déserts infréquentés et de djungles épais, d’où les terribles carnassiers de ces régions, et des êtres plus redoutables encore, des hommes sans caste, sans noms et sans lois, menaçaient d’un danger incessant non-seulement la prospérité des moissons et des troupeaux, mais l’existence même des pâtres, des laboureurs et des pieux anachorètes qu’un vœu religieux poussait dans ces solitudes.

Au-delà des premiers contre-forts des monts Vindhyas, commençait l’inconnu pour les habitants des plaines septentrionales, et se déroulait vers le sud un océan de forêts vierges, où toutes les fables de leurs prêtres et de leurs chantres, où toutes les rêveries de leur imagination crédule trouvaient un asile incontesté et mystérieux. Là, abstraction faite de toute idée mythique, vivaient éparses, de l’existence désordonnée et précaire du chasseur, de nombreuses hordes de sauvages appartenant à ces deux variétés noire et jaune dont la présence dans la péninsule datait, ainsi que nous l’avons constaté, de bien des siècles déjà. Les uns, se rapprochant des Arians par leur teint, par leurs traits et par leurs croyances aux plus anciennes divinités védiques, ont été enveloppés par Valmiki, obéissant sans doute ici à quelque préjugé d’orgueil et d’ignorance enraciné chez ses compatriotes, dans