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L’INDE ANTIQUE.

civile, et lui rendit le pouvoir temporel, tandis que les Brahmanes, comme les Lévites parmi le peuple hébreu, se contentèrent de gouverner les consciences, à travers le médium de la religion et des lois.

La première épopée de la littérature sanskrite, épopée dont les linéaments, sinon la forme actuelle, remontent au xiie siècle avant l’ère chrétienne, et qui est consacrée tout entière à célébrer un prince d’Ayodhia, né dix générations après Rama le Justicier, et porteur du même nom, le Ramayana enfin, n’est qu’une vaste et magnifique exposition de ces nécessités et de cette réaction.

L’auteur du poème, bien que Brahmane, cède si volontiers à cette tendance, que, dès ses débuts, il a soin d’immoler à la gloire de son héros celle de l’ennemi de Kchattryas. C’est une grande et poétique scène que celle où Valmiki met en présence les deux Ramas : l’un, dans tout l’éclat de la jeunesse et de la renommée, regagne, au retour d’une expédition victorieuse, le palais de ses pères ; l’autre, chargé de jours et de siècles et ne pouvant mourir, a quitté, au bruit des exploits de son jeune homonyme, les hauteurs du mont Mérou, où il expie, dans la solitude et les austérités, le sang versé par ses mains sacerdotales. Enveloppé d’un tourbillon orageux d’où jaillissent les vents et la fondre, il vient provoquer le prince d’Ayodhia à un combat singulier. Le jeune guerrier, impassible, repousse dédaigneusement le défi du vieux réformateur et se contente de lui opposer ces hautaines paroles ; « Apprends, « ô Brahmane ! que les Kchattryas ont encore la force et la puissance ! » Puis après avoir humilié l’ennemi de sa race jusqu’à le contraindre à reconnaître ses torts et à lui rendre hommage comme à un supérieur, il le renvoie dans les solitudes glacées du septentrion, d’où, suivant la croyance populaire, il ne redescendra qu’aux jours de la régénération de l’Inde, pour faire fleurir les Védas développés et mis à la portée de tous les hommes.

Le Ramayana, avons-nous dit, est tout entier fidèle à l’esprit de ce défait,

« … Qu’on prête l’oreille à ces chants, œuvres d’un Richi ; chants qui cahnent la douleur et éloignent jusqu’à la crainte du mal ; qui réunissent le doux, l’utile et le juste, et se développent, nourris de traditions sacrées et d’antiques souvenirs.

« En les lisant, le Brahmane obtient l’empire de la parole, le Kchattrya