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LE PRÉSENT.

que celui de Louis XIV, mais plus pompeux encore, plus riche, plus étincelant de soie et d’or, de pierreries, de lourdes étoffes écrasantes de broderies, tri enfin que les peintres de la renaissance pouvaient seuls le comprendre et le représenter. De ces différences, l’école de David n’a eu aucune vision ; elle a tout confondu : demi-dieux, républicains d’Athènes, républicains de Rome, empereur ; même quand elle a copié exactement les détails d’un costume, l’ensemble du personnage ainsi reconstruit était faux par le caractère.

Une contemporaine de Talma m’a raconté qu’un jour le grand acteur, renouvelant son mobilier, chargea son ami David de meubler sa chambre à coucher dans le goût antique. Le peintre se met à copier ; nul détail qui ne fût antique : un lit à pieds droits, des colonnes, des draperies rouges et vertes, des lampes antiques, des sièges antiques, et, pour table de nuit, un trépied sans aucun tiroir. Une fois La chambre prête, elle causa l’admiration de visiteurs choisis ; mais on y était mal assis, mal couché, on n’y voyait pas et on n’y pouvait faire sa toilette. Talma renonça à s’en servir. Cette exactitude dans le détail poussée souvent jusqu’à la puérilité, peu d’harmonie et de convenance dans le rapport, tel fut souvent le costume de Talma ; ajoutez nul amusement pour l’œil : des ajustements toujours au-dessous du vrai comme richesse et comme ampleur.

Ce double caractère des costumes de Talma, d’un côté, l’accomplissement légitime de la réforme esquissée par Lekain, — une recherche intelligente et toute moderne du naturel et du vrai ; — de l’autre, une dignité officielle, devenue de nos jours un peu vieillotte, se retrouvait dans son jeu. Il l’avait aussi dans son style, ainsi qu’on en a pu juger par la citation que nous avons faite, où, à côté de réflexions fines et fortes, on trouve des tournures comme l’aspect de la vertu timide et sans défense, et autres expressions incolores qu’on éviterait aujourd’hui avec soin. Le style des écrivains contemporains de Talma, qui l’ont jugé avec l’enthousiasme le plus intelligent, ont aussi ce double caractère :

« Il me semble, dit madame de Staël, que Talma peut être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de naturel et de dignité… Quelle connaissance du cœur humain il montre dans sa manière de concevoir ses rôles ! Il en est une seconde fois l’auteur par ses accents et sa physionomie. Lorsque Œdipe raconte à Jocaste comment il a tué Laïus sans le connaître, son récit commence ainsi : « J’étais jeune et superbe. » La plupart des acteurs, avant lui, croyaient devoir jouer sur le mot superbe en relevant la tête pour le signaler. Talma, qui sent que tous les souvenirs de l’orgueilleux Œdipe commencent à devenir pour lui des remords, prononce d’une voix timide ces mots faits pour rappeler une confiance qu’il n’a déjà plus. Phorbas arrive de Corinthe au moment où Œdipe vient de concevoir des craintes sur sa naissance : il lui demande un entretien secret. Les autres acteurs, avant Talma, se hâtaient de se retourner vers leur suite et de l’éloigner avec un geste majestueux : Talma reste les yeux fixés sur Phorbas, il ne peut le