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LE COSTUME AU THÉÂTRE.

sidéré, par Talma et les peintres qui l’avaient habillé, comme le plus beau des éloges, ils auraient dû y voir une part de juste critique. En effet, la réforme du costume antique exécutée par Talma a un double caractère : elle achève et complète ce que Lekain n’avait pu qu’esquisser — particulièrement pour la coiffure et le caractère de la tête, rien d’admirable et d’exact comme Talma ; — d’autre part, elle fut fortement influencée par les préjugés exclusifs de David et de son école, qui furent de leur temps comme Lebrun avait été du sien.

Les personnages antiques de Lebrun ont un coin de fausseté par les grandes manières, par la tournure de beau danseur et de parfait homme de cour ; ceux de David ont un coin de fausseté, parce qu’ils sont officiels comme M. de Barras présidant une cérémonie publique en grand habit de directeur. Qui dit David dit Talma. Prenons, par exemple, son costume de Néron. C’est le costume de triomphe de cet empereur : le laurier sur la tête et le grand manteau de pourpre semé d’étoiles d’or. Ce n’était pas avec cet habit officiel, mais en simple laticlave, que Néron exprimait sa passion à une femme amenée de force dans son palais. Si, dans un drame, nous représentions Louis XIV faisant la cour à Mlle de Lavallière, lui mettrions-nous, comme dans le portrait de Rigault, le sceptre en main et le manteau fleurdelisé sur les épaules ? On me dira que cette majesté convient à la tragédie. Soit ! mais alors on peut préférer, pour jouer le Racine, le majestueux éclatant et plein d’aisance de Lebrun au majestueux triste et gourmé de David. Pourquoi cette affectation de sévérité ? Pourquoi toujours de la laine et des plis simples et maigres, puisque les anciens connaissaient la soie, les plis compliqués, les toges vitrées ? Pourquoi les bras nus, qui rendent tant d’acteurs ridicules ? On avait conservé l’inexactitude d’un maillot pour les jambes, on pouvait conserver le maillot des bras, ou mettre des tuniques à manches longues également connues des anciens. Pourquoi aussi cette haine du bariolé, puisque la tunique des grands de Rome était toute couverte de bandes larges et étroites, horizontales et verticales ? Ce caractère officiel, l’école de David l’a donné indifféremment à tous les anciens, sans distinction de temps ni de pays ; elle a considéré l’antique comme quelque chose d’immobile et de simple, tandis qu’il est mobile et complexe. C’est l’antique coquet de Pompéi, aussi maniéré que le xviiie siècle, avec les restes d’une tradition plus pure ; l’antique héroïque des Éginètes et des Étrusques, roide, sauvage, pittoresque, d’une grandeur religieuse, mais étrange comme les gestes et les ajustements des Mohicans ; l’antique souverainement beau et libre, robuste et délicat, de Périclès et des républiques grecques, inimitable pour des acteurs, parce que son caractère est le nu ; l’antique des Cincinnatus, des Brutus et des Caton, de ces durs patriciens nourris d’ail et de pain sec, laboureurs et plaideurs sans loisir, et, par conséquent, sans poésie, sans religion imagée, sans peintures ni sculptures à consulter, et dont on ne peut qu’entrevoir le caractère ; enfin, l’antique impérial, d’un majestueux plus près de la nature