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LE COSTUME AU THÉÂTRE.

ton, fort bien imité : tout était en harmonie dans la représentation, et tout était goûté. Maintenant, au contraire, tout Phèdre vit dans le rôle de Phèdre. Tant qu’elle est là, cette passion brûlante et contenue enlève ; mais dès qu’elle est rentrée dans la coulisse, il n’y a plus de pièce. On est parti avant le récit de Théramène. Le rôle d’Aricie, autrefois plus recherché que celui de Phèdre, coiçme étant le rôle sympathique, est donné à une pensionnaire ; quand Thésée s’écrie :


Espérons de Neptune une prompte justice,
Je vais moi-même encore au pied de ses autels,
Le presser d’accomplir ses serments immortels,


on ne le croit pas ; et quand Théramène, l’abbé de cour, affublé d’une grande barbe et d’un manteau de stoïcien, débite à son élève, d’une voix sonore, cette morale badine :


Quels courages Vénus n’a-t-elle pas domptés !
Vous-même où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope, à ses lois opposée,
D’une pudique ardeur n’eût brûlé pour Thésée ?


le mieux est d’en rire.

Ce qu’il y a de plus singulier dans les costumes avec lesquels nous jouons Phèdre et Iphigénie depuis Talma, c’est qu’outre que leur caractère ne convient pas aux personnages conçus par Racine, il est également contraire au caractère des ajustements de la Grèce héroïque.

Nos costumes affectent une simplicité de bon goût ; or, la simplicité, et ce que nous appelons le bon goût, est tout ce que les peuples primitifs détestent le plus. Les colliers, les boucles d’oreilles, les bracelets aux pieds et aux mains, les aigrettes et les plumets de deux coudées, les soleils jaunes et rouges, les têtes de monstre peints sur le dos et sur la poitrine, les tatouages ou les bariolages, voilà les goûts des peuples qui mènent la vie héroïque : qui en a le plus, est le plus beau et de plus haut rang. On peut même dire en ce sens que les ajustements Louis XIV, qui, sous leur luxe majestueux, gardent, comme bien des esprits de ce temps, quelque chose de roide et de féodal, sont plus héroïques que ceux des comédiens actuels.

Il ne faudrait pas quitter les costumes tragiques du xviie siècle sans dire quelques mots des turcs. Les turcs ont été souvent mis au théâtre, en comédie, en musique et en tragédie. Il faut entendre par là, non-seulement les Turcs proprement dits, mais les Arabes, les Juifs, les Persans, et généralement tous les Orientaux : Mithridate et Assuérus sont un tant soit peu turcs, Gengis-Kan et Mahomet le seront tout à fait. Nous voyons à la gravure de l’Amant libéral, de Scudéry, des turcs Louis XIII ; il y a aussi le turc Louis XIV et le turc Louis XV. Le turc tragique, sous Louis XIV, indique sa qualité de turc par un turban empanaché ou sur-