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LE PRÉSENT.

« Cette scène qui, vers la fin, reprend sa véritable couleur, est, au commencement, fort difficile à jouer. Cette teinte d’affectation doucereuse refroidit l’acteur ; le mouvement passionné, imprimé d’abord au rôle de Néron, l’impétuosité de ses désirs, son trouble, son désordre, si bien peints dans la scène qui précède, paraissent tout à coup suspendus. Ils ne pouvaient l’être que par la simple expression de cette retenue naturelle, involontaire, qu’impose souvent, à la passion même la plus violente, l’aspect de la vertu timide et sans défense ; mais ce Néron si impétueux, que déjà nul frein n’arrète, ne parle plus que le langage d’un galant de qour. » (Talma, Réflexions sur Lekain et sur l’art théâtral.)

Si Britannicus est difficile à jouer quand on n’en veut faire saillir, comme Talma, que le côté général et éternel, et si l’on est obligé de défigurer en maint endroit le Néron de la tragédie pour retrouver celui de l’histoire, que dire de Bérénice, où Racine, abandonnant toute préoccupation historique, n’a cherché qu’à rendre le ton de la cour de Louis XIV, poétisé, attendri et cadencé, avec une grâce presque féminine ? Cette élégie est toute incompréhensible pour nous avec nos manteaux romains ; elle est impossible à jouer. Pour les pièces à sujets fabuleux, comme Phèdre et Iphigénie, l’ancien costume est aussi nécessaire à qui veut rendre l’idéal du poëte. En effet, sous Louis XIV, ainsi que le manifestent les carrousels, les opéras, les sculptures et les peintures de Versailles, il s’était créé une véritable mythologie grecque qui allait jusqu’à préciser les infiniment petits. Racine savait les aventures des dieux comme un rhéteur d’Alexandrie ; il en discute, dans ses lettres, les caractères et les convenances. Voir dans cette mythologie des allégories sans vie comme celles des poètes philanthropes de la fin du xviiie siècle, serait aussi injuste que de comparer les déesses charnues de la galerie de Médicis à ces peintures Louis XVI qui représentent la Vertu ouvrant à la Pudeur le temple de l’Hymen, quand Lemierre disait :


Le trident de Neptune est le sceptre du monde.


Ses contemporains ne voyaient là aucune image, mais seulement cette idée, qu’il est de bonne politique d’encourager la marine. Quand l’Hippolyte de Racine s’écriait :


Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune,
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune,


le spectateur du xviie siècle apercevait aussitôt, comme dans les opéras et les carrousels, un char en bois d’or avec des chevaux empanachés, et Neptune lui-même avec son trident, ses souliers à boucles et sa robe de brocart. Il n’eût été nullement étonné de voir le dieu prendre part à l’action, et donner des leçons d’équitation à son élève. L’indomptable taureau, le dragon impétueux était aussi de sa connaissance, il l’avait vu mainte fois en chair et en os, ou du moins en car-