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LE COSTUME AU THÉÂTRE.

le rôle du Cid. Le Cid et Cinna, à leur apparition, furent joués en costume de cour contemporain. Pour bien se figurer l’effet que devaient produire ces tragi-comédies, et la convenance des sentiments que Corneille prêtait à ses personnages, il faut voir les dessins d’Abraham Bosse. Le costume des hommes, c’est les grands cheveux bouclés, la fraise plate, le haut-de-chausses à bouts de dentelles, le justaucorps à petites basques, la longue épée retombant obliquement sur les reins. Pour les femmes, c’est le corsage court et rond, le sein entièrement découvert des portraits d’Anne d’Autriche, la grande jupe à queue dont l’étoffe robuste et ample retombe de tous côtés en plis magnifiques. Ce sont les modes de la jeunesse de mesdames de Chevreuse, de Hautefort, etc. Jamais costume ne fut plus naturellement grand, n’imposa plus, ne justifia mieux les madrigaux et les adorations exagérées. Montées sur leurs hauts talons, plus grandes que les hommes, le buste rejeté en arrière, les cheveux crêpés et bouffants ou retombant en boucles sur la poitrine, elles s’avancent majestueuses et souriantes comme des déesses. Les hommes les attendent, appuyés sur leurs grandes cannes, campés fièrement les jambes en dehors, le jarret tendu, les souliers couverts de nœuds impossibles, également prêts à vanter leur valeur indomptable, à affronter mille morts pour attirer les regards de leur princesse, ou à lui débiter, prosternés à terre, les galanteries les plus précieuses. Rien qu’a ces attitudes, on s’explique aussitôt, et les forfanteries de don Gormas, et les argumentations de la déplorable Infante avec son cœur :


T’écouterai-je encor, respect de ma naissance,
Qui fais un crime de mes feux ?


et surtout ce mélange de politique impitoyable et de galanterie d’Émilie et de Cinna, qui était puisé dans la réalité du temps, qui, sous cet habit, rappelait aussitôt aux spectateurs ces terribles amours, mêlés d’intrigues avec l’Espagne, que le cardinal s’entendait si bien à dénouer par la prison et la mort.

Un peu plus tard la reine Laodice dira à Nicomède :


Pour moi, je ne vois goutte en ce raisonnement
Qui n’attend point le temps de votre éloignement,
Et j’ai devant les yeux toujours quelque nuage
Qui m’offusque la vue, et m’y jette un ombrage.
Le roi chérit sa femme, il craint Rome : et pour vous,
S’il ne voit vos hauts faits d’un œil un peu jaloux,
Du moins, à dire tout, je ne saurais vous taire
Qu’il est trop bon mari pour être assez bon père.


De notre temps, l’actrice chargée de dire ces vers serait fort empêchée : elle se tirerait d’affaire par un ton sombre et monotone. Au temps de Corneille, elle pouvait avoir les mille inflexions d’une grande dame racontant à son amant le grand