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LE SPHYNX.

pas son domestique et ne lui imposa pas silence, parce que l’adroit coquin, suivant les secrètes pensées de son maître, ne fit d’abord que les rendre le plus fidèlement possible, dans son langage d’antichambre expressif et cauteleux. Et puis, s’étant assuré du terrain, il y creusa tout doucement une autre mine : ce fut l’amour-propre d’Arsène qui éclata. — Il passa toute la nuit à commenter l’observation de son valet : Monsieur n’a plus dix-huit ans, qu’il n’obtient rien ! — À quoi François avait ajouté :

— Monsieur, d’ailleurs, ne peut épouser madame Moreau, qui n’est point riche.

Ce d’ailleurs, si logique, ressemblait bien à un nouvel avis plus machiavélique que le premier. Le bel Onfray, en y réfléchissant, se trouva ridicule : cela était logique aussi. La pureté tout instinctive de sa passion en avait jusqu’alors racheté les mollesses. Essayer de vaincre une femme qui souffre, c’est plus qu’une lâcheté ordinaire ; il faut l’aimer comme elle veut qu’on l’aime. Ce sentiment délicat qu’Arsène avait éprouvé près de Julie, le pouvoir d’un laquais devait le détruire en quelques heures. — L’âme remontée comme une horloge, le dandy partit pour la Maison-Grise. — Mais le soir, François l’examina revenant d’un pas soucieux, et devina que la veuve n’avait pas voulu comprendre son maître. Il descendit au-devant d’Arsène : la nouvelle qu’il portait n’était plus guère attendue de celui-ci. François, le grand compère, avait gagné tout à fait la camériste d’Anna, qui avait à son tour persuadé à sa maîtresse que l’exercice ne pouvait manquer de lui être sain et de lui rendre sa gaieté, et le lendemain, la châtelaine devait sortir et passer au carrefour du Roi. — Cette communication avait enfin un caractère officiel : c’était le correctif du premier traité non exécuté, et Arsène s’en montra content.

— Tu iras donc m’excuser près de madame Julie, répliqua-t-il.

XIV

Julie, ce soir-là, dit à sa mère :

— Je ne sais pourquoi il me semble que la journée de demain sera plus heureuse.

Elle travaillait de toutes ses forces à terminer une robe de mousse-