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LE SPHYNX.

— Non, avait-elle dit avec une vivacité qu’ensuite elle regretta. Et si vous vous obstinez à demeurer loin de moi et de ma mère, c’est moi-même qui vous rappellerai… quand le jour en sera venu, quand rien ici pe vous fera plus souffrir.

— Georges nous a apporté des fleurs que M. de Brennes lui avait envoyées pour nous, reprit-elle en s’adressant à Arsène. — Voyez les superbes œillets. — Mais, j’y pense, vous connaissez M. de Brennes.

— Un noble cœur aussi, continua madame André. Ma vieille expérience ne s’y trompe jamais.

Le bel Onfray répondit d’un ton fort sec qu’il avait le privilège de coudoyer longtemps les gens sans les connaître : le nom seul du gentilhomme l’exaspérait.

— Enfin, reprit-il, Georges, en revenant, vous a fait un grand plaisir.

Julie, qui venait de se relever, rencontra son regard plein de petites menaces et l’interrompit :

— Sans doute ! s’écria-t-elle, il est bon, lui.

Elle se tut un instant, mais son dépit l’emporta. Elle accusa nettement Arsène de s’être défait d’un ami qui le gênait par cette clairvoyance exquise du cœur si rare dans les hommes, et que, lui-même, il n’avait point. Elle prenait un amer plaisir à exalter ce pauvre Georges, qui l’aimait si fort, devant celui qui la rendait folle à ce point, et dont elle doutait si amèrement. — Mais cette amitié dont votre orgueil nous prive, car c’est vous seul qui, par votre attitude malveillante, empêchez M. Kœblin de nous voir ; cette liaison, autrefois si chaude, sur quoi a-t-elle bien pu reposer en vous ? Avez-vous jamais, été l’ami de M. de Kœblin ? Ah ! comme vous êtes le mien, sans doute ! Pauvre Arsène, ce n’est que vous-même que vous aimez.

Sa voix s’affaiblissait par degrés, ses larmes l’étouffaient, et sa dernière parole éclata comme un sanglot.

— Ne voyez-vous pas que ces affreuses scènes l’épuisent ? s’écria madame André.

Le bel Onfray se rapprocha de Julie, qui s’était laissé tomber sur le banc dans la tonnelle, et qui le regarda presque timidement.

— Durant ces huit jours, lui dit-elle tout bas, pourquoi n’êtes-vous pas venu ?

— Je croyais que vous ne vous étiez point aperçue de mon absence.