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LE PRÉSENT.

que Georges était vraiment allé, le matin précédent, à la Maison-Grise : il y courut.

Julie paraissait fort occupée à planter des fleurs d’automne dans son jardin. Elle était assise à demi, près d’une bourriche pleine de reines-Marguerite et d’œillets de Chine, le plantoir en main, creusant la terre, et ne craignant point d’y enfoncer ses doigts fluets, pour faire un meilleur lit à ses jeunes plantes. Elle devina le bel Onfray phitôt qu’elle ne le vit, et, sans lever les yeux, elle lui dit très-naturellement :

— Nous avons vu M. de Kœblin.

Madame André s’approcha, car elle savait bien que cette entrevue des deux jeunes gens allait leur servir à tous deux d’épreuve, et que si Julie, après ces huit jours de séparation, ne démentait pas sa froideur, il y aurait encore à espérer pour elle.

Les deux femmes vivaient toujours côte à côte dans un silence presque absolu. Julie n’avait point cessé d’environner sa mère de son active attention, elle lui prodiguait les même soins, mais elle ne tes accompagnait plus, chaque soir, de sa confession de la journée : sa tendresse était devenue muette.

— N’est-il pas vrai, ma mère, répéta la jeune femme, quenous avens revu M. de Kœblin ?

Elle continuait, tout en causant, de planter des reines-Marguerite.

— Et que vous a-t-il dit ? demanda le bel Onfray d’un ton moqueur.

Elle rougit.

— Ah ! rien qui puisse me fortifier et me rendre sage, murmura-t-elle ; il ne sait pas me comprendre mieux que vous !

Georges, en effet, n’avait pu résister à lui-même, et, la veille précisément, il s’était trouvé, comme par hasard, sur le seuil de la Maison-Grise. Ainsi que le prédisait bien madame André, Julie en le voyant n’avait aucunement songé à lui faire de confidences, mais elle lui avait prodigué tant de choses affectueuses que le pauvre garçon en avait perdu la tête, et, comme la jeune femme lui reprochait vivement de la négliger, lorsqu’elle avait un si grand besoin d’un ami,

— Votre ami ! s’était-il écrié. De moi à vous l’amitié serait plus qu’un mensonge ! J’avais bien résolu de ne plus vous revoir, et me voici ! J’ui manqué de courage, n’est-il pas vrai ?

— …… Pardonnez-moi, murmura-t-il en la voyant se retirer, je ne reviendrai plus. Cette fois, madame, c’est un adieu.