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LE PRÉSENT.

courir aux Rosières ! Je veux que vous revoyiez M. de Kœblin et que vous nous le rameniez.

Le bel Onfray laissa tomber un Non vraiment olympien. Il crut avoir enfin compris ce ressentiment de la jeune femme qui avait ses accès comme la fièvre : cela était trop insensé pour être vrai.

— C’est braver le péril sans y échapper, dit madame André, lorsque Arsène fut parti. Mieux vaudrait cent fois recueillir assez de force pour ne plus aimer, que d’aimer si mal. Ah ! Julie, tu me fais peur !… Que veux-tu donc à M. de Kœblin ? reprit-elle.

— Il me semble qu’il m’écoutera, lui !

— Mais tu ne lui parleras pas, s’écria l’aïeule, je le sais bien. Pauvre enfant, combien tu souffres !

Et Georges ! Georges ne soupçonnait guère que la jeune femme en fût réduite à l’invoquer. Retiré dans son domaine des Rosières, amèrement heureux de son chagrin, il écoutait son amour parler au dedans de lui comme un écho des voix célestes ; par un phénomène bizarre, n’ayant plus de foi dans sa propre destinée, et n’attendant rien de Julie, il espérait encore, mais vaguement, de la même façon à peu près qu’un autre homme moins délicat aurait rêvé.

« Ou elle cessera d’aimer, se disait-il, ou bien cet homme la délaissera. » Il aurait donné la moitié de sa vie pour être sûr que Julie se guérirait d’elle-même. Mais que la désillusion de la jeune femme était lente à se trahir !

M. de Brennes, qui venait chaque matin voir l’artiste, n’avait jamais qu’un même mot pour le consoler et l’affermir ; il l’avait bien choisi.

— Hé quoi ! disait-il, n’est-ce point encore vous qui êtes aimé ?

La visite du gentilhomme était la seule que Georges reçût. Il passait le reste du jour à errer dans son jardin, mais, aussitôt que l’ombre descendait, il prenait le chemin de Laverdie. On assurait l’avoir vu, à une heure fort avancée de la nuit, dans le chemin des Pommiers : pour l’avoir rencontré là, il fallait bien qu’on l’eût épié. L’espion, la veille, avait été François ; le soir de sa fâcherie avec Julie, ce fut Arsène. Il se convainquit bien que Georges n’entrait point à la Maison-Grise ; lui-même, le lendemain, il n’y alla pas.

Il s’était imposé de ne point retourner, de toute une semaine, auprès de Julie. François l’observa pendant deux jours ; le troisième, il apporta