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LE SPHYNX.

lui avoir arraché. Le premier mot de Julie mettait sa résolution en déroute : il voyait avec rage qu’elle ne voulait plus se laisser interroger. Il se retranchait alors dans de grandes plaintes dont la cause était, disait-il, le changement soudain de la jeune femme. Il l’attribuait toujours à sa faute, mais cette faute était déjà si vieille !

— Êtes-vous donc encore fâchée contre moi ? lui demandait-il.

— Pourquoi ? lui répondait-elle amèrement. Ne vous étiez-vous point égaré ?

L’ironie montait alors à ses lèvres, elle aurait obéi aux mille aiguillons qui la blessaient au cœur si elle ne s’était échappée ! La pauvre enfant se trouvait si cruelle que bientôt elle se crut guérie.

— Ah ! qu’un mot de vous m’a fait de mal ! disait-elle à sa mère, mais il m’a sauvé.

Madame André ne savait que répondre ; elle pleurait quelquefois avec sa fille, mais elle ne la pressait point de parler et repoussait, au contraire, le plus doucement qu’elle le pouvait, toutes ses confidences. Julie voulait impérieusement, répandre sa douleur.

M. de Kœblin ne vient pas ? disait-elle chaque soir.

Si Georges avait été là, aurait-elle osé se confesser à lui ? Avec Arsène elle se montrait moins despotique, mais bien plus indifférente.

— Il ne s’éloignera donc pas ! disait-elle. Oh ! que je suis bien guérie !

Elle eut une seule fois un retour involontaire : Arsène voulut en profiter peur lui adresser des reproches plus vifs, elle lui déclara qu’elle ne voulait pas l’entendre.

— Que faut-il donc faire ? s’écria-t-il.

— Je vais vous dire une folie, lui dit-elle un instant après, avec son rire malade, je veux que vous vendiez ce cheval qui est la seule cause de votre retard dans ce vilain jour que vous savez, et la cause aussi de toute ma rancune.

Il revint, dès le soir, annoncer qu’il s’était défait de son cheval. Mais elle lui dit très-sérieusement, qu’il avait eu tort, qu’il fallait le garder au contraire pour tuer le temps et prendre un peu d’exercice, et qu’elle lui désirait vraiment une autre distraction, parce qu’il venait trop souvent à la Maison-Grise.

— Vous raillez encore ? s’écria-t-il.

— Point du tout, reprit-elle, ce cheval ne vous eût-il servi qu’à