Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LE PRÉSENT.

Il affecta de trouver le trait adorable et d’en rire : mais elle remarqua naïvement qu’il ne faisait jamais de grimaces, lorsqu’il riait, et elle en conclut que son rire n’était pas naturel, parce que la vraie gaieté est ennemie de l’équilibre du visage. Et puis, comme il se gardait bien de renoncer à ce fameux demi-toupet sur la tempe, avec la brosse par derrière, qui fait la gloire de John Bull, Julie s’en expliqua très-nettement avec lui ; elle lui déclara qu’un homme exclusivement préoccupé de sa personne ne pouvait prétendre à l’affection d’une femme raisonnable, parce qu’une telle femme ne faisait vraiment cas que des dons du cœur. Madame André ne put s’empêcher de sourire, mais, hélas ! du bout des lèvres, car elle voyait bien que sa fille s’abusait toujours, malgré sa confusion même et ses craintes !…

Et pourtant, si la jeune femme n’avait point la conscience bien claire de toutes les faiblesses d’Arsène, elle avait déjà plus qu’un pressentiment du vice originel de son âme.

— C’est par l’habit que je vous persécute, lui disait-elle en riant d’un rire pénible, je vous accable par ce que je vois. Ah ! Si j’allais chercher plus avant !

À toutes ces attaques le bel Onfray répondait par une grande mélancolie, qui n’était point de parade, puisque ce n’était au fond que de l’ennui. Les élans instinctifs de la jeune femme agissaient d’ordinaire sur lui à la façon d’un tourbillon magnétique : son imagination redevenait immobile, puisque celle de Julie n’était plus émue. Et il s’ennuyait de ne plus sentir le charme qui opérait autrefois ; il cherchait à le faire revivre et il y mettait une grande maladresse, car toutes les fois que la jeune femme ne l’enivrait ou ne le dominait point, ce n’était plus la piquante Julie qu’il voyait en elle, mais la veuve de Baptiste Moreau.

Et quand la sombre image chassait de son esprit l’image naguère enchantée, alors il n’écoutait plus ni railleries ni paroles plus douces, il sortait de la maison précipitamment. Il allait au chêne du roi Henri, où madame du Songeux n’apparaissait point, en dépit des promesses de François, et quand il abandonnait le bois avec humeur, c’était encore pour revenir auprès de Julie. Ivre de nouveau, par contre-coup, dans ces moments-là, il était résolu à tout vis-à-vis d’elle, à l’aimer sans retour, à l’épouser même pour l’aveu de son secret ; car, toutes les fois qu’il approchait d’elle, il se promettait bien de ne pas la quitter sans le