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LE PRÉSENT.

fond du ciel irisé de feux légers comme l’opale. Toute la nature était pleine de ces tièdes harmonies dont les nuits d’été gardent le secret. — Mais Georges ne se souvint guère qu’il était artiste et poëte, et cependant, comme plus d’un poëte, il ouvrait alors son cœur à toutes les noires à crêtés de la mélancolie. « Je suis le comte Octave, » se disait-il, en repensant à ce livre d’Honorine que Julie avait adopté comme sien, qu’elle savait par cœur, et qu’Arsène, aimé par elle, n’avait pas su comprendre. — Il formait, à l’exemple de Mme André, les projets les plus contradictoires pour sauver la jetfne femme. — Et il ne fallait qu’un mot de lui pour que Julie cessât d’aimer Arsène ! — Mais ce mot magique, il ne songeait point à le direl « Anna est apaisée, pensait-il seulement, ou bien elle s’endort, » et cette pensée ravivait singulièrement sa douleur. — N’était-ce pas un fardeau bien lourd à porter que cette vie solitaire telle que l’injustice ou l’affection dérisoire de tout ce qu’il aimait la lui avait faite ? Anna, sa sœur, Arsène, le plus cher de ses anciens camarades, celui dont le souvenir lui apparaissait autrefois comme la figure même de l’amitié, Julie enfin, Julie, tous l’avaient trahi ou méconnu pour suivre le courant de passions insensées dont la furie n’avait encore abattu que lui seuil — Il s’avouait pourtant, en y réfléchissant bien, que Julie n’avait commis d’autre crime à son égard que de ne pas lui donner d’amour et peut-être que d’avoir eu peur du sien. — Peut-être aussi l’aurait-elle aimé !… Mais Arsène avait paru. Cette morne beauté du dandy se dressait partout entre le pauvre Georges et le bonheur ; c’était toujours la vieille figure du Sphynx retouchée seulement par la mode contemporaine : le tailleur Humann et tous les maîtres de l’asphalte avaient dirigé les retouches. — Georges, hélas ! n’avait jamais songé à lutter avec son ancien ami : lutter, à quoi bon ? Rien n’épouvantait Julie dans cet homme sans âme qu’elle aimait si ingénument, rien ne la refroidissait, ni pressentiments, ni doutés, et quand il essayait, lui, de la prémunir, par son silence au moins ou par sa tristesse, il craignait de la revoir encore toute prête à l’accuser. — Telle est la justice des femmes ! se disait-il. Elles ne vivent que par le cœur, mais ces cœurs pétris d’amour ne connaissent envers ceux qu’elles n’aiment point que des lois draconiennes : et pourtant elles sont logiques.

Arrivé aux portes de son domaine il s’arrêta longtemps à considérer la petite maison mélancoliquement assise dans la pénombre, au milieu