Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/170

Cette page n’a pas encore été corrigée
158
LE PRÉSENT.

marchait sur ses talons, la poussait, tout doucement pour prendre sa place auprès de la châtelaine.

— Itou, dit-il plaintivement à la jeune femme, ce n’est jamais moi que vous aimerez.

La raison d’Anna venait encore une fois de l’abandonner.

— Et si, pour mériter quelque chose de moi, s’écria-t-elle, il fallait tuer celui qui m’a outragée ?

M. Rougé considéra instinctivement ses deux poings énormes.

— De Brennes seul aurait pu me servir, dit-elle d’un ton méprisant.

Et puis, malgré la présence de ses hôtes, elle s’abîma dans pénible rêverie.

— Voyez-vous, monsieur Moreau, dit tout bas la mairesse à son époux, elle songe au moyen de le ramener.

Non, elle regrettait seulement de s’être abandonnée une fois de plus à ses emportements ; elle se disait que si la vengeance » est le plaisir des dieux, voire, même des déesses, il ne saurait être celui des femmes bien nées. — On était arrivé à l’extrémité des jardins, au pied des frênes, à cette place moussue où elle s’était assise un jour avec le bel Onfray. Ils avaient eu là, tous les deux, une heure de cette intimité sans confiance, qui était d’ailleurs, dans la jeune femme, le seul souvenir de son étrange passion. Elle voulut s’arrêter sur dame Eléonore s’y laissa choir auprès d’elle en lui disant :

— C’est comme dans la romance, ma chère, il est parti, drevieudru. Et la perfide amie s’avisa même de fredonner un peu. Elle chantait comme un dragon.

XI

Arsène était à la Maison-Grise. — En revoyant Julie qui sortait de chez sa nourrice, il avait voulu d’abord lui demander franchement son pardon : la présence de M. de Brennes l’en empêcha, et, un instant après, mal satisfait de son premier mouvement, il s’excusait auprès de la jeune femme avec une légèreté maladroite qu’il crut encore habile, car ce cœur petit et vacillant avait trouvé le secret de rapetisser jusqu’à ses fautes. M. de Brennes salua les deux dames et se retire précipitamment pour leur éviter des remerciements pénibles ; Georges, de son côté,