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LE PRÉSENT.

châtelaine n’en avait formé d’aucune espèce. — Allez, lui dit-elle un jour, ce n’est point de la haine, c’est de la bonne jalousie. — Peut-être, répondit Anna.

Mais elle se reprit aussitôt. — Croyez-vous donc, s’écria-t-elle, que si je l’aimais, je resterais là sans rien tenter, quand il s’agit de le perdre ?

Elle ne craignait pourtant plus de confesser tout haut-qu’elle aurait pu aimer Arsène, et si le plus souvent elle renfermait l’âcre expression de son ressentiment, une sorte d’expansion involontaire lui échappait quefquefois comme un reste d’aveu. En ccs moments-là, elle parlait volontiers du bel Onfray, et, dédaignant d’élever contre lui aucune plainte, elle se répandait seulement en implacables railleries, qui se pressaient sur sa bouche comme les lames d’une mer de fiel. Ce débordement passé, elle se sentait un peu soulagée sans doute, et alors elle aurait pleuré avec joie, et il eût été facile de lui prouver, par «es larmes mêmes, qu’ehe aimait encore. Mais madame Éléonore se pâmait de rire.

— Ah ! dis airelle, — que vous l’auriez bien fait mourir à petit feu ! Grand Oieu ! que n’est-il devenu votre mari ? mais alors il n’aurait plus osé ni marcher, ni demeurer, ni parler, ni se taire, ni se tenir éveillé ni dormir. Il n’est pas vôtre mari, par malheur. Aussi, pourquoi l’avez-vous laissé faire le demi-dieu chez vous pendant un mois ? Il fallait l’enchaîner tout de suite, mais, vous l’aimiez.

— Oui, dit une fois Anna impatientée, il m’avait plu.

Aussitôt, elle entendit derrière elle un sourd gémissement quiplk misait sortir d’un meuble t e’étàit, en effet, le marquis de la Totir qtd l’avait poussé. M. Rougé faisait ordinairement la troisième partie, la partie muette, dans les entretiens des deux femmes. Blotti dans un coin de la pièce, afin qu’on l’oubliât, il avait pris rang peu à peu parmi les choses de la maison, et aucune chose n’y était plus triste. Lorsque madame Éléonore n’était plus là, le marquis pourtant se dédommageait de ses longs silences auprès d’Anna, et c’étaient alors de Sa part tant de langueurs et de douceurs florianesques, qu’avec un peu de grammaire seulement, il eût égalé Némorin. Ce gros berger partait à son Estelle le langage plein de pièges d’or qui séduit les pensionnaires. Avec sa main, il promettait un hôtel à Paris ; avec son cœur, il offrait un voyage à Rome, et il poétisait alors en toute assurance, et il était bien sûr d’être éloquent, car il n’était jamais interrompu. Anna n’é-