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LE SPHYNX
X

Au petit château, tout rentrait dans ce demi-calme perfide que la châtelaine faisait régner d’ordinaire autour d’elle. Madame du Songeux seulement persistait à congédier sans merci tous ceux de ses gens qu’elle surprenait à chuchoter dans les antichambres ou dans les parterres, et le droit de réunion, comme la liberté des discours, étaient impitoyablement méconnus sur tous les points du domaine. Anna, en effet, voulait bien qu’on médît d’elle, elle ne voulait pas qu’on en rît, et elle craignait bien plus la moquerie de ses inférieurs que leurs mauvais propos. Sa douleur, cependant — c’était de la douleur — bien que tracassière et nourrie de petites injustices, sa douleur n’était pas ridicule, parce qu’elle était vraie, et que la passion prêtait en ce moment son voile magique à l’affligée. Georges lui aurait pardonné l’âpreté de son cœur, en voyant ce cœur déchiré par tant de désirs ennemis, plein de contre-sens et d’horribles inquiétudes, et dévorant pour la première fois, après un outrage, l’humiliation bien plus navrante de sa propre faiblesse. « Le sang la gêne de plus en plus, » disait madame Éléonore. La beauté toute normande d’Anna était compromise. Son amaigrissement subit faisait ressortir plus crûment les méplats un peu durs de son visage, et son œil naguère si perçant vacillait alors, comme si des pleurs violemment retenus avaient pesé sous sa paupière. En vain, la mairesse, qui aspirait au rôle de confidente auprès de son amie, cherchait-elle à découvrir ses projets. Ne pouvant en démêler la secrète trame, elle commençait à croire que la