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DÉCADENCE DE L’INDE.

venirs si effrayants dans la mémoire des riverains de l’Indus et du Gange, qu’ils donnèrent, dans la suite, le nom de Mongol à tout envahisseur venant du Nord. Les Européens du seizième siècle, trompés par cette qualification erronée, l’ont vulgarisée dans l’Occident, et c’est ainsi que les souverains de Delhi, Usbecks d’origine, détestant et méprisant les nomades de l’Asie centrale, sont restés, pour nos géographes et nos historiens, les chefs de l’empire Mogol.

Babeur, héroïque soldat, doué de qualités généreuses, et poëte souvent bieh inspiré, ne sut pourtant pas se dégager assez des préjugés de sa religion pour apprécier sa conquête à son vrai prix.

Dans les mémoires qu’il a laissés, et qui forment un des plus curieux monuments de la littérature musulmane, il est loin d’être juste envers le sol et les populations de l’Inde. Ravagée, dépeuplée, rendue au désert par des siècles d’invasions, l’Inde lui semble bien inférieure au Fergannah et au Caboul, où florissait l’agriculture, où, le long de frais cours d’eau habilement ménagés, mûrissaient les plus beaux fruits de l’Europe et de l’Asie ; où, dans de somptueux palais s’accumulaient, depuis Mahmoud et Timour, les dépouilles des nations. Le côté vivace, délicat du génie Indou lui échappe entièrement ; il n’en embrasse que le révers, exagéré par des misères séculaires. Il ne voit dans les descendants dégénérés des Arians, que des troupeaux de créatures inertes, implorant l’aman de tout ennemi armé, ou fuyant en sauvages dans l’épaisseur des djungles. Il nous dépeint, avec une sorte d’orgueil, l’esprit ouvert, les penchants somptueux, la joie quelque peu bruyante et amie des banquets de ses compagnons d’armes, sans songer que ces traits sont généralement ceux des maîtres et des victorieux ; puis il place en regard la tristesse morose, la pusillanimité, l’esprit d’isolement des Indous et leur défaut de sentiments expansifs et généreux, et il ne s’aperçoit pas qu’il parle d’infortunés, soumis de génération en génération à tous les genres d’oppression, des misérables restes d’une population abandonnée depuis cinq cents ans aux boucheries et aux pillages périodiques de ses coreligionnaires, des échappés enfin de la plus effroyable consommation de créatures humaines dont la terre ait jamais été témoin. Il contemple avec étonnement l’anarchie qui dévore cette malheureuse population, avec stupeur il sonde l’abîme où elle a été précipitée, mais il ne remonte pas plus aux causes de cette situation qu’il n’en recherche les remèdes. C’était là pourtant