Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/147

Cette page n’a pas encore été corrigée
135
DÉCADENCE DE L’INDE.

À Palibothra, où il fut envoyé en ambassade par Séleacus Nicanor, Mégasthènes constata l’existence de deux classes de philosophes : les Brahmanes et les Çramanœ : « Les premiers, dit-il, prêtres et devins, jouissent de peu de crédit ; les seconds, ermites, anachorètes, s’imposent des pénitences, des mortifications très-rudes et font leur résidence habituelle sous les bananiers. Ils prêchent, soutiennent des thèses publiques sur la vie et sur la mort, ont pour auditeurs une foule d’hommes et de femmes de tout rang et de tout âge, et ne se font faute de poursuivre les brahmanes de railleries, les traitant de jongleurs et de charlatans. »

Dans la capitale du Magadha, à la cour de Tchandra-Goupta, le bouddhisme était donc triomphant trois cents ans avant notre ère. Huit et dix siècles plus tard, les pèlerins chinois le trouvent florissant encore, non-seulement sur les rives du Gange, mais encore sur celles de l’Indus, où, d’après les historiens d’Alexandre, ce conquérant n’avait trouvé que des adorateurs du Soleil et du Dieu de la coupe. Cent ans encore s’écoulent, les Arabes pénètrent sur le sol de l’Inde et le bouddhisme en a entièrement disparu. Ses nombreux couvents, dont quelques-uns abritaient jusqu’à dix milliers de religieux, ses écoles, ses établissements de charité ont été rasés ; ses stopas, monuments commémoratifs des actes de ses saints ou consacrés à leurs reliques, ont été profanés, et dans les temples où s’est dressée la statue gigantesque de Bouddha on ne voit plus que les images de Vichnou, de Çiva et des nombreux avatars de ces divinités. Comment cette révolution s’est-elle opérée ? quelles furent les phases de la persécution implacable par laquelle les brahmanes vengèrent mille ans d’affronts ? l’histoire encore n’en dit rien. Nous savons comment le bouddhisme naquit, nous ignorons comment il mourut. Mais les causes générales de ce fait immense ne peuvent être douteuses : spiritualisme sans âme, vertu sans devoir, morale sans liberté, charité sans amour, monde sans nature et sans dieu[1], le bouddhisme ne pouvait suffire longtemps aux aspirations des poétiques populations de l’Inde ; en travaillant pour l’intérêt de leur domination, les brahmanes avaient le droit d’invoquer les intérêts moraux de la société confiée à leurs soins ; mais ils ne l’arrachèrent à l’athéisme qui l’envahissait que pour la rejeter dans les ténèbres de la plus gros-

  1. Barthélemy-Saint-Hilaire. Journal du Savants, — avril 1855.