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LE PRÉSENT.

plices sans nom comme les êtres qui en étaient victimes. Puis au-dessous du grincement des chaînes, du sifflement des fouets et du râle de la faim, une oreille attentive eût pu démêler des murmures, des frémissements continus, comme ceux de l’attente ; des confidences mystérieuses, et de vagues aspirations vers un avenir inconnu, entrevu par les Sibylles, et inauguré sans doute par la vie et la mort d’un prophète dont l’Orient venait de boire le sang sacré, mais qtd avait semé parmi les malheureux et les déshérités des paroles comme celles-ci : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés ! — Hommes ! vous êtes tous frères ! » et qui, du fond du tombeau où on croyait l’avoir scellé, se frayant une route lumineuse vers l’Empyrée, avait dit à ses bourreaux aussi bien qu’à ses disciples : « Je vais à mon Père qui est votre Père, à mon Dieu qui est votre Dieu. »

Ainsi, sur notre terre de France, lorsqu’au temps de nos pères une noblesse sans vertu, un clergé sans foi, une royauté sans pudeur, faisaient couler à flots la corruption et la honte dans tous les membres du corps social, et mettaient cyniquement en pratique les immondes théories de la Philosophie de la nature, une voix s’éleva, solitaire, mais trempée dans l’adversité, mais résumant en’elle tous les griefs des âmes souffrantes, toute l’indignation des cœurs honnêtes, et formula dans le Contrat social, dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, les vœux et les aspirations dont devait vivre la société régénérée.

Ainsi encore, six siècles avant le Christ et deux mille quatre cents ans avant Rousseau, au sein de la société brahmanique descendue au dernier degré de la corruption ; lorsque les abus du système des castes eurent morcelé cette société en autant de fragments qu’elle renfermait de professions, multipliant ainsi les intérêts et les préjugés hostiles ; lorsque, pour nous servir de l’aveu même d’un roi contemporain, « on ne connaissait depuis des siècles d’autre droit que celui du plus fort ; que le parricide siégeait sur presque tous les trônes ; que l’inceste et la prostitution se glissaient dans tous les palais ; que partout on ne voyait que meurtres, cruautés, irrévérences envers les parents, impiétés envers les dieux…[1], » une voix s’éleva pour gémir avec les

  1. Voir les édits du toi Piyadasi-Asoka édits gravés sur pierre et découverte de nos jours sur différents points de l’Inde.