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LE PRÉSENT.

gravitation de l’humanité, assister sans anxiété au spectacle des efforts désespérés qu’elle tente aujourd’hui pour rompre les nœuds qui la rattachent à la civilisation européenne ? Comment s’étonner que les meilleurs esprits soient saisis de doutes à la vue de ce sol bouleversé et noyé dans le sang, et se demandent si ce sont là les symptômes de la régénération d’un peuple, ou simplement les convulsions dernières d’un cadavre galvanisé par les effluves morbides de croyances et d’institutions condamnées depuis longtemps par les progrès de la raison ?

S’il s’agissait d’une autre contrée, il suffirait, pour dissiper de pareils doutes, de jeter un coup d’œil rapide sur le passé de ses populations. Mais l’Inde antique n’a jamais eu d’annales réelles, et la race qui l’habite depuis quatre mille ans n’a pas produit un historien. S’étant abandonnée en aveugle à la conduite de prêtres et de sages qui, dès son apparition dans les plaines du Gange, lui ont prêché l’inaction surhumaine comme le but, et l’absorption dans l’éternel repos comme l’espérance suprême de l’humanité, elle a cessé d’agir dans le cercle de la vie réelle des peuples, avant même que les Grecs et les Romains commençassent à y empreindre les premiers vestiges de leur grande et féconde existence. « Livrée par ses guides aux hallucinations d’une métaphysique sans frein, bercée et abreuvée par eux des histoires de ses dieux, elle a fini par perdre jusqu’au désir de connaître la sienne, et de laisser à la postérité la trace de son passage sur la terre [1]. »

Et la postérité ne peut aujourd’hui retrouver et suivre cette trace que dans les œuvres littéraires de cette race étrange. Ce n’est qu’à Paide de ses monuments poétiques, de ses hymnes, de ses épopées, de ses spéculations morales et religieuses, qu’on peut espérer de reconstituer, non l’ensemble complet de ses actes, mais la charpentesèche et froide de son passé.

C’est ce que nous allons tenter, en nous dirigeant d’après les lumières que trois générations d’érudits ont jetées sur les profondeurs du vieil Orient, et en nous Inspirant surtout des leçons d’É. Burnouf, cette gloire de notre Collège de France, et des communications bienvefllantes du premier de ses élèves, M. Gerresio, le savant et brfflaat interprète de Valmiki.

  1. E. Burnouf-Bhagavata-Purana, t. I, p. 146.