Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/128

Cette page n’a pas encore été corrigée
116
LE PRÉSENT.

justesse et vérité la pénètre de lumière. Mais jetez votre jambe jusqu’aux astres, ce prodige ne me touchera point, et, dans mon cœur, j’en serai vraiment confus pour les chastes étoiles.

Il me semble que dans tous les siècles polis, ceux qui ont traité de la danse, depuis Lucien jusqu’à Noverre, ont à peu près pensé de la sorte. Et c’est parce que Mme Rosati me paraît réunir en elle tous les mérites de la danseuse des véritables gens de goût, que je prends la liberté de la louer. Elle s’applique surtout à exprimer la passion, et elle y excelle. Les nuances les plus délicates sont rendues avec précision et lumière. Rien de vague n’est laissé dans le sentiment ; et cependant les vains détails sont supprimés ; quelques traits choisis et peu nombreux suffisent pour produire les effets les plus étonnants ; le geste est toujours simple, l’attitude toujours harmonieuse ; l’expression de la figure est au-dessus de tout. Si j’avais à caractériser sa danse, je dirais qu’elle appartient à l’école française. Il me semble qu’elle renferme tout ce qui_est en harmonie avec le génie de notre nation.

Je n’ai jamais eu beaucoup de goût pour ces canevas que l’on appelle livrets de ballets. Ils ne me semblent pas être ordinairement le dernier effort de l’esprit humain. Ce que j’aime, c’est l’œuvre d’art qui naît de l’exécution libre et brillante de la danseuse. Cette œuvre est une véritable création, et si on pouvait l’imprimer dans la mémoire des hommes, elle vivrait éternellement, comme les comédies, les poëmes et les hymnes. On fixe tout, le son, le rayon, le parfum ; mais le mouvement est insaisissable, quoiqu’on puisse le noter : l’arrêter, c’est l’anéantir. Ce n’est que l’attitude d’Amymone que l’on a pu graver sur l’émeraude d’Isménias ; et Eugène Lami n’a pu nous transmettre du magnifique quadrille de Marie Stuart que les costumes et les parures. Cependant Marco Spada est un poëme fort bien entendu ; et c’est un charme que de s’oublier dans ce doux tissu d’aventures singulières, de scènes passionnées et de péripéties joyeuses. Les tableaux des Grâces et des Muses rappellent les belles fresques de Pompéia et d’Herculanum, le vieux Noverre les aurait applaudis, et Socrate, soupant chez Agathon, les aurait considérés avec son doux sourire de sage.

Ferdinand Fouque.