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THÉÂTRES.

d’enfant, de sorte que, de crainte de soulever trop d’anathèmes, il se rejette dans les proverbes et expose sa lyre retentissante à l’humidité des brouillards. « Te voilà devenu semblable à nous, durent s’écrier alors les bardes visionnaires ; sois tranquille, tu seras académicien ! »

Mais je reviens à cette épithète d’enfant que lancent d’ordinaire ces dolents contemplatifs à face de carême, lorsqu’on les tire de leurs rêves crépusculaires. Si Alfred de Musset est un enfant, où sont donc les hommes ? car il ne suffit pas, pour mériter ce litre, de faire frémir une harpe comme les vents de l’Éolie ou de l’Allemagne ; il faut encore avoir les accents de la force, de l’amour et de la douleur ; il faut de ces cris qui passent sonores, électriques, sur la fibre des générations.

Reprends donc, ô poëte, le chemin de ton équinoxiale patrie ; rallume ta lampe blafarde pour ceux qui aiment les soleils douteux, les lumières incertaines ; ceux que tu quittes ne sont pas des ingrats, ils savent rendre justice à tes grands murmures harmonieux. Déjà même des peintres s’occupent à éterniser ta personne : ils la représentent à cheval sur une cascade et donnant le bras à un rocher.

Et maintenant, à l’œuvre ! Sous le souffle de la génération qui se lève, la trame de toutes les littératures anodines tombera comme une toile d’araignée. Pour ma part, Diogène dramatique, je vais allumer ma lanterne, et jusqu’à ce que je rencontre un homme, je crierai : Haro !

La Comédie-Française vient de se livrer à une petite résurrection en la personne de Gabrielle. Je ne ferai pas de grands frais d’analyse en l’honneur d’une pièce qui n’a jamais bien vécu ; mais elle me fournira l’occasion de dire en passant ma pensée sur le compte de M. Émile Augier.

M. Émile Augier est le poëte des salons, il tisse industrieusement les vers de bonne compagnie, et les crudités qui les émaillent parfois tendent seulement à démontrer une connaissance approfondie de Molière Je ne voudrais pas trop brusquerie prochain ; mais ces gaillardises intempestives me font l’effet du Goddam familier au commis voyageur désireux de prouver qu’il connaît le fond de la langue anglaise.

C’est, il faut en convenir, une intrigue assez bizarre que celle de Gabrielle. Les personnages se meuvent on ne sait pourquoi, ou tout au moins sous les prétextes les moins plausibles. La table, le jardin, le billard, le piquet, une commission, une lettre non pressée, un enfant, une tulipe, les engagent tour à tour à quitter la scène ; on dirait des facteurs ruraux ou des âmes en peine. Ils sont jaloux sans motifs, confiants à l’excès, exaltés sans passion, expansifs hors de propos, raisonneurs pour tuer le temps, et poètes pour faire plaisir au corps respectable des tabellions. Pauvre Deus ex machina ! comme tu dois rougir d’être intervenu tant de fois sans nécessité ! une rose, un tonneau à fleur de terre te remplacent avec, avantage.