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QUELQUES CARICATURISTES FRANÇAIS.

d’ailleurs le savait bien, et les estimait comme des auxiliaires et des commentateurs.

Les principales créations de Gavarni sont : la Boîte aux lettres, les Étudiants, les Lorettes, les Actrices, les Coulisses, les Enfants terribles, Hommes et Femmes de plume, et une immense série de sujets détachés.

Il me reste à parler de Trimolet, de Traviès et de Jacque. — Trimolet fut une destinée mélancolique ; on ne se douterait guère, à voir la bouffonnerie gracieuse et enfantine qui souffle à travers ses compositions, que tant de douleurs graves et de chagrins cuisants aient assailli sa pauvre vie. Il a gravé lui-même à l’eau-forte, pour la collection des Chansons populaires de la France et pour les almanachs comiques d’Aubert, de fort beaux dessins, ou plutô.des croquis, où règne la plus folle et la plus innocente gaîté. Trimolet dessinait librement sur là planche, sans dessin préparatoire, des compositions très-compliquées, procédé dont il résulte bien, il faut l’avouer, un peu de fouillis. Evidemment l’artiste avait été très-frappé par les œuvres de Cruikshank ; mais, malgré tout, il garde son originalité ; c’est un humoriste qui mérite une place à part ; il y a là une saveur sui generis, un goût fin qui se distingue de tous autres pour les gens qui ont le palais fin.

Un jour, Trimolet fit un tableau ; c’était bien conçu et c’était une grande pensée : dans une nuit sombre et mouillée, un de ces vieux hommes qui ont l’air d’une ruine ambulante et d’un paquet de guenilles vivantes s’est étendu au pied d’un mur décrépit. Il lève ses yeux reconnaissants vers le ciel sans étoiles, et s’écrie : « Je vous bénis, mon Dieu, qui m’avez donné ce mur pour m’abriter et cette natte pour me couvrir ! » Comme tous les déshérités harcelés par la douleur, ce brave homme n’est pas difficile, et il fait volontiers crédit du reste au Tout-Puissant. Quoi qu’en dise la race des optimistes qui, selon Désaugiers, se laissent quelquefois choir après boire, au risque d’écraser un pauvre homme qui n’a pas dîné, il y a des génies qui ont passé de ces nuits-là ! Trimolet est mort ; il est mort au moment où l’aurore éclaircissait son horizon, et où la fortune plus clémente avait envie de lui sourire. Son talent grandissait ; sa machine intellectuelle était bonne et fonctionnait activement, mais sa machine physique était gravement avariée et endommagée par des tempêtes anciennes.

Traviès, lui aussi, fut une fortune malencontreuse. Selon moi, c’est un artiste éminent, et qui ne fut pas dans son temps délicatement ap-