Page:Le Présent - Tome deuxième, 1857.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée
92
LE PRÉSENT.

est double : il y a le dessin, plus la légende. En second lieu, Gavami n’est pas essentiellement satirique ; il flatte souvent au lieu de mordre ; il ne blâme pas, il encourage. Comme tous les hommes de lettres, homme de lettres lui-même, il est légèrement teinté de corruption. Grâce à l’hypocrisie charmante de sa pensée et à la puissante tactique des demi-mots, il ose tout. D’autres fois, quand sa pensée cynique se dévoile franchement, elle endosse un vêtement gracieux, elle caresse les préjugés et fait le monde son complice. Que de raisons de popularité ! Un échantillon entre mille : vous rappelez-vous cette grande et belle fille qui regarde avec une moue dédaigneuse un jeune homme joignant devant elle les mains dans une attitude suppliante ? « Un petit baiser, ma bonne dame charitable, pour l’amour de Dieu ! s’il vous plaît. Repassez ce soir, on a déjà donné à votre père ce matin. » On dirait vraiment que la dame est un portrait. Ces coquins-là sont si jolis que la jeunesse aura fatalement envie de les imiter. Remarquez, en outre, que le plus beau est dans la légende, le dessin étant impuissant à dire tant de choses.

Gavarni a créé la lorette. Elle existait bien un peu avant lui, mais il l’a complétée. Je crois même que c’est lui qui a inventé le mot. La lorette, on l’a déjà dit, n’est pas la fille entretenue, cette chose de l’empire, condamnée à vivre en tête-à-tête funèbre avec le cadavre métallique dont elle vivait, général ou banquier. La lorette est une personne libre. Elle va et elle vient. Elle tient maison ouverte. Elle n’a pas de maître ; elle fréquente les artistes et les journalistes. Elle fait ce qu’elle peut pour avoir de l’esprit. J’ai dit que Gavarni l’avait complétée, et en effet, entraîné par son imagination littéraire, il invente au moins autant qu’il voit, et, pour cette raison, il a beaucoup agi sur les mœurs. Paul de Kock a créé la grisette et Gavami la lorette ; et quelques-unes de ces filles se sont perfectionnées en se l’assimilant, comme la jeunesse du quartier latin avait subi l’influence de ses étudiants, comme beaucoup de gens s’efforcent de ressembler aux gravures de mode.

Tel qu’il est, Gavarni est un artiste plus qu’intéressant, dont il restera beaucoup. Il faudra feuilleter ces œuvres-là pour comprendre l’histoire des dernières années de la monarchie. La république a un peu effacé Gavami. Loi cruelle mais naturelle. Il était né avec l’apaisement, il s’éclipse avec la tempête. — La véritable gloire et la vraie mission de Gavarni et de Daumier ont été de compléter Balzac, qui