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LE PRÉSENT.

Il est juste la contre-partie de l’homme dont nous venons de parier. Au lieu de saisir entièrement et d’emblée tout l’ensemble d’une figure ou d’un sujet, Henri Monnier procédait par un lent et successif examen des détails. Il n’a jamais connu le grand art. Ainsi Monsieur Prudhomme, ce type monstrueusement vrai, Monsieur Prudhomme n’a pas été conçu en grand. Henri Monnier l’a étudié, le Prudhomme vivant, réel, il l’a étudié jour à jour, pendant un très-long espace de temps. Combien de tasses de café a dû avaler Henri Monnier, combien de parties de dominos pour arriver à ce prodigieux résultat, je l’ignore. Après l’avoir étudié, il l’a traduit ; je me trompe, il l’a décalqué. À première vue, le produit apparaît comme extraordinaire ; mais quand tout Monsieur Prudhomme a été dit, Henri Monnier n’avait plus rien à dire. Plusieurs de ses Scènes populaires sont certainement agréables ; autrement il faudrait nier le charme cruel et surprenant du daguerréotype ; mais Monnier ne sait rien créer, rien idéaliser, rien arranger. Pour en revenir à ses dessins, qui sont ici l’objet important, ils sont généralement froids et durs, et, chose singulière, ils restent une chose vague dans la pensée, malgré la précision pointue du crayon. Monnier aune faculté étrange, mais il n’en a qu’une. C’est la froideur, la limpidité du miroir, d’un miroir qui ne pense pas, et qui se contente de réfléchir les passants.

Quant à Granville, c’est tout autre chose. Granville est un esprit maladivement littéraire, toujours en quête de moyens bâtards pour faire entrer sa pensée dans le domaine des arts plastiques ; aussi l’avons-nous vu souvent user du vieux procédé, qui consiste à attacher aux bouches de s es personnages des banderoles parlantes. Un philosophe ou un médecin aurait à faire une bien belle étude psychologique et physiologique sur Granville. Il a passé sa vie à chercher des idées, les trouvant quelquefois. Mais comme il était artiste par métier et homme de lettres par la tête, il n’a jamais pu les bien exprimer. Il a touché naturellement à plusieurs grandes questions, et il a fini par tomber dans le vide, n’étant tout à fait ni philosophe ni artiste. Granville a roulé pendant une grande partie de son existence sur l’idée générale de l’Analogie. C’est même par là qu’il a commencé : Métamorphoses du jour. Maie il ne savait pas en tirer des conséquences justes ; il cahotait comme une locomotive déraillée. Cet homme avec un courage surhumain a passé sa vie à refaire la création. Il la prenait dans ses mains, la tordait, la