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L’ANNÉE DES COSAQUES.

hommes tiraient ; les torches illuminaient les grands arbres et entouraient tout le théâtre de l’action d’un cercle de feu. Michel et Georges tenaient toujours, et leurs deux détonations se succédaient sans interruption, mais bientôt un seul fusil parla dans la cabane, Michel avait reçu une balle à la cuisse. Les assaillants s’aperçurent de ce succès et leur audace s’en augmenta. Brûlons-les ! Enfumons-les dans leur terrier ! crièrent des femmes, et plusieurs torches volèrent çà et là lancées par des bras vigoureux.

Aucune par bonheur ne tomba sur la cabane. Le fusil de Georges tenait en respect les plus hardis, et ils n’osaient point s’approcher assez pour que leurs tisons pussent atteindre le toit de chaume. Bientôt, dans un rayon de dix pas à peu près brûlèrent une vingtaine de torches dont la fumée dérobait Georges aux yeux de ses ennemis. Mais ses forces commençaient à s’épuiser ; la sueur coulait de son front. Tout à coup une balle qui semblait tomber du ciel vint creuser un trou profond aux pieds de Marguerite.

Deux ou trois paysans avaient rampé d’arbre en arbre, et montés sur une des cimes les plus rapprochées de la cabane, ils faisaient un feu plongeant sur la tête même des assiégés. Marguerite poussa des cris qui portèrent le désespoir dans l’âme de Georges. Il jeta son fusil en disant : — Au moins ils ne tueront que moi.

Étonnés de ne plus entendre tirer, les assaillants suspendirent aussi leur feu, et quelques-uns apparurent dans le cercle de flammes, croyant les Russes tués, et cependant marchant avec précaution. À leur tête était Jarry.

— Approchez, n’ayez pas peur, dit Georges en se montrant. Je me rends. Il n’avait pas fini de parler que dix fusils étaient braqués sur sa poitrine. Pierre Jarry les releva.

— Tout-à-l’heure, tout-à-l’heure. Attendez, dit-il.

Sa figure était effrayante, noire de poudre et rouge de sang, car une balle luavait effleuré le front. Il poussa la porte du pied. Les regards plongèrent curieusement dans la cabane. Un cri de surprise sortit de toutes les poitrines.

Marguerite était à genoux et priait.

Seul Pierre Jarry n’eut pour cette apparition à laquelle il s’attendait qu’un sourire méprisant.

— Qu’est ceci ? des femmes dans ce guêpier ! dit-il. Et prenant une torche et la dirigeant impitoyablement dans le coin où Marguerite était accroupie et courbée sous la honte, de façon à ce que les reflets tombassent en plein sur son visage :

— Eh ! Dieu me pardonne, c’est la jolie Marguerite !

Tout le monde s’était rassemblé pour voir de près cette terrible cabane qui avait vomi la mort pendant si longtemps ; on se pressait, on se poussait comme à une fête publique ; ceux qui étaient par derrière se haussaient sur la pointe des pieds, et à mesure qu’on reconnaissait Marguerite, c’étaient des rires, des sarcasmes, des injures.