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LE PRÉSENT.

lement des lampes fumeuses, autour du feu de tourbe des veillées, je ne suis qu’une ignorante, et je ne crois point à vos léechies.

— Ce sont des superstitions, comme disent mes amis. Que veux-tu ? j’ai été élevé ainsi.

Il s’accouda sur son genou et rêva un instant. Le doute passait sur son front avec le vent glacé de France.

— Je ne crains point le canon, reprit-il, et j’ai vu sans pâlir les hommes tomber sous la mitraille. Je ne croirai plus aux léechies si tu le veux. Je suis un sauvage, un barbare, j’ai laissé l’empreinte de mes pas sur la neige du nord, mais je marche depuis quelque temps sur une terre où l’on apprend. Mon œil s’ouvre, mon imagination se purifie et mon esprit voit clair.

Il parlait ainsi en regardant Marguerite avec amour ; soudain un coup de feu retentit, et Michel se précipita dans la cabane, sauta sur les armes posées dans un coin, et sans dire mot, passant son fusil à travers les fentes, répondit par un coup de feu. De grands cris se firent entendre à une trentaine de pas de la cabane à peu près ; sept ou huit balles vinrent percer le toit et siffler aux oreilles de Georges, de Michel et de Marguerite. Elle tomba évanouie dans un coin ; Georges se plaça près de son fidèle serviteur, et pendant un quart d’heure environ, une fusillade continue ébranla les arbres de la forêt.

Bien que très-supérieurs en nombre à la garnison de la cabane, les assaillants ne gagnaient pas un pouce de terrain. Si peu couverts qu’ils fussent par les quelques roseaux entrelacés à quelques pieux fichés en terre qui étaient tout leur rempart, c’était cependant pour Michel et pour Ceorges un précieux abri. Ils pouvaient viser, tiraient avec sang-froid, et d’ailleurs, soldats de profession, ils avaient plus l’habitude de ces sortes d’affaires que les paysans inexpérimentés qui étaient devant eux.

Au bout d’un quart d’heure, un des compagnons de Jarry était étendu mort sur la terre, et à côté du cadavre deux autres étaient couchés, blessés grièvement. La petite troupe se retira hors de la portée du feu et tint conseil.

Michel resta en observation et Georges courut à Marguerite. Ses baisers et ses cris la rappelèrent à la vie, mais ce fut pour assister à une scène effrayante. Elle entendit la voix de Jarry qui criait avec rage : — Allons, Russe, sors de ton trou et bats-toi seul à seul avec moi.

Jarry s’était découvert en portant ce défi, Michel fit feu ; sa balle alla ouvrir l’écorce d’un arbre à côté de lui. La fusillade recommença. On l’avait entendue du village ; des hommes, des femmes même commencèrent à arriver avec des faux, des fourches et des torches. La lumière permit aux deux Russes de mieux assurer leurs coups, et quelques instants après trois nouveaux blessés gisaient dans leur sang. Alors ce fut quelque chose de terrible. Une sorte de rage s’empara desassailants. Les balles plurent sur la petite cabane ; les femmes poussaient des cris, les