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L’ANNÉE DES COSAQUES.

Un sourire ironique et un haussement d’épaules furent toute la réponse du jeune homme.

— Au fait, tu as raison, ça l’inquiéterait. Il vaut mieux partir sans tambour ni trompette. En avant ! Je te suis.

Tous deux se glissèrent dans l’ombre jusque sur la place des Tilleuls. Plusieurs jeunes gens y étaient déjà réunis, d’autres ne tardèrent pas à arriver. Jarry donna le signal du départ, se plaça à la tête avec le père Grandpré, et on se mit en marche.

VI.
LA CABANE DE L’ÉTANG-JOLI.

Marguerite et Georges étaient assis côte à côte dans la cabane de l’Étang-Joli. Le ciel était pur et brillant ; l’air était calme ~ quelques pointes d’herbe perçaient déjà la terre et on sentait à l élasticité de l’air, à la douceur du vent qui faisait courir sur l’eau de l’étang des frissons rapides et courbait les joncs flétris, que le printemps avec ses gràces allait bientôt remplacer l’hiver. Michel était sorti et s’était placé en vedette.

— Quelle belle nuit ! dit Marguerite.

— Bien belle, mais il va pleuvoir.

— À quoi voyez-vous cela ?

— Regarde ce canard qui déploie ses ailes et quitte les endroits découverts sens la pénétrante odeur de l’herbe.

— Georges, vous connaissez les choses de la campagne mieux que moi qui y suis née.

— J’ai grandi à la campagne et je l’aime. Ces chênes sont beaux et leurs branches noueuses se dressent superbement vers le ciel, mais je préféré les aubiers et les bouleaux de mon pays. La grâce m’émeut plus que la force. Toi, mon adorée, tu as la force des chênes de ton pays et la grâce des aubiers du mien. Aussi je t’aime.

Un héron jeta son cri perçant dans le silence de la nuit.

— Écoute, Marguerite, le léechie !

— Qu’est-ce que le léechie ?

— C’est l’Esprit des Bois. Enveloppé jusqu’aux pieds d’une écorce d’arbre, il se promène autour de nous et nous guette.

— Vous me faites peur, dit Marguerite en riant.

Le héron répéta son cri. Georges se serra contre elle.

— Fi ! dit-elle, fi ! prince. J’ai entendu les contes des vieilles le soir, au grésil-