Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
LE PRÉSENT.

Elle demanda, à voir Mlle de Lautages, fut introduite immédiatement et se jeta à ses pieds.

— Mademoiselle, lui dit-elle d’une voix coupée de sanglots, excusez-moi si je vous dérange, mais je n’ai pas voulu garder cela plus longtemps, puisque je ne dois point m’en servir. Elle lui montrait le carton posé à côté d’elle. Clotilde releva doucement Marguerite ; — Voyons, qu’y a-t-il ? Ne dois-tu plus épouser Pierre Jarry ?

— Jamais, jamais je ne l’épouserai, et elle dit en rougissant toute l’aversion qu’elle avait pour cette union.

— Eh bien ! console-toi, ma petite Marguerite, et essuie tes yeux. Tu resteras auprès de moi ; tu n’auras rien à faire qu’à m’aider à m’habiller et à babiller un pill de temps, en temps ; je vais faire porter ce bouquet d’oranger dans ma chambre, et quand ton caprice sera passé, que tu voudras aller à l’église, il est à ta disposition. J’espère que je ne le garderai pas longtemps.

Marguerite secoua la tête : — Mademoiselle, je prie Dieu du fond du cœur qu’il vous rende heureuse, et qu’il vous donne un mari digne de votre beauté et de votre bon cœur.

Clotilde sourit : — Un mari ! Et si j’étais comme toi. Si je ne voulais pas me marier non plus.

— Vous êtes jeune, riche et belle, mademoiselle ; vous aurez un mari jeune, riche et beau, il faut l’espérer.

— Ah ! si cette maudite campagne était finie !

— Il est officier ? dit Marguerite.

— Oui, répondit Clotilde devenue sérieuse. Il y a bien longtempsque je n’ai eu de ses nouvelles. Peut-être, il est blessé ou mort à cette heure.

Marguerite rougit en pensant à Georges.

— Mais non, il faut espérer comme tu dis, ma petite Marguerite. À propos, ton père doit être inquiet de toi, je vais l’envoyer prévenir.

Clotilde embrassa Marguerite, pour qui elle se sentait une véritable affection, et envoya dire au père Granpré que sa fille était au château, et qu’il pourrait la venir voir toutes les fois qu’il le trouverait bon.

Le père Grandpré y vint chaque jour, chaque jour il essaya de fléchir Marguerite en faveur de Pierre, qu’il aimait comme un fils et dont la tristesse le navrait, elle resta inflexible. C’est que toutes les nuits, vers onze heures, elle sortait silencieusement, se glissait comme une ombre le long des murs du château et se rendait à la cabane de l’Étang-Joli. Toutes les nuits aussi, Georges, guéri maintenant et ne pouvant se déterminer à partir, venait, à quelque distance de son palais de roseaux, attendre la jeune fille. Ils faisaient ensemble autour de l’Étang de longues et délicieuses promenades. Avec leurs charmes, ces rencontres avaient leurs dangers. Marguerite en revenait chaque matin plus pâle et plus troublée.