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L’ANNÉE DES COSAQUES.

— Que c’était un crime d’épouser quelqu’un pour lequel on se sent au fond du cœur de l’éloignement plutôt que de l’amitié.

— Et pourquoi as-tu attendu jusqu’à ce jour pour demander ce conseil à la Vierge ?

Marguerite ne répondit pas.

— Sais-tu que Pierre a ma parole, qu’il a la tienne, qu’il s’est conduit généreusement envers nous, et que ton caprice est presque de l’ingratitude.

— Mon père, sortons d’ici, dit Marguerite d’une voix faible, je ne l’épouserai jamais.

— Il fallait me dire cela plus tôt, Marguerite. Voilà la première fois que tu me fais du chagrin.

Marguerite se jeta aux genoux de son père en sanglotant ; il la repoussa de la main et alla faire part au père Jarry et à Pierre de cette subite résolution.

Tous deux se récrièrent ; le père Jarry blessé dans son orgueil, Pierre dans son amour.

— Mademoiselle votre fille a sans doute parole d’épouser le roi de Rome, dit le père Jarry.

— Ne vous moquez pas, père Jarry, j’en suis aussi triste que vous. Je vous demande pardon de l’embarras que nous vous avons causé, et je vous remercie de votre hospitalité. Adieu, nous allons partir.

— Et où comptez-vous aller, dit le père Jarry d’un ton bourru ; votre maison ne s’est pas rebàtie toute seule.

— À la garde de Dieu ! Je suis honnête homme, je n’ai jamais fait de mal à personne ; je trouverai bien une place où me loger, moi et ma fille. Nous ne sommes pas difficiles.

Pierre, accablé de douleur, releva la tête : — Vous voulez nous quitter !

— Nous ne pouvons rester, Pierre.

— Eh bien, soit, vous partirez, mais pas tout de suite ; attendez encore un ; mois. Je vous le demande en gràce. Alors, si elle n’a pas changé d’avis, vous nous quitterez, et je vous promets de ne pas dire un mot pour vous retenir.

Le père Grandpré secoua la tête : — C’est inutile.

— Enfin, que vous importe ? Accordez-moice sursis.

— Avez-vous de quoi m’occuper d’ici là ?

Oui, je vous en réponds ; nous avons du travail pour vous.

— Soit, je resterai, et peut-être d’ici là tout cela changera-t-il.

Pendant cette conversation, Marguerite, de son côté, avait pris son parti. Elle s’était dit qu’il lui était impossible de vivre dans cette maison aujourd’hui qu’elle était résolue à ne pas être la femme de Pierre ; elle avait replacé dans un carton la robe, le bouquet d’oranger et tout ce que lui avait donné Mlle de Lautages, était sortie par une porte de derrière et avait couru au château.