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L’ANNÉE DES COSAQUES.

— C’est bien ; je suis content, murmura Georges ; je puis me reposer.

Ses genoux faiblirent, ses muscles, surrexcités par une énergie factice, se détendirent, et Marguerite, le recevant dans ses bras, le replaça dans la position qu’il venait de quitter. Plusieurs heures se passèrent ainsi. Georges, faible, le corps agité par le frisson de la fièvre, ouvrait de temps en temps les yeux pour s’assurer que Marguerite était toujours là et veillait sur lui, puis il les refermait en souriant.

Cependant le soleil remontait à l’horizon et dissipait les nuages qui avaient couvert le ciel pendant la nuit ; on entendait au dehors le cri joyeux des pinsons qui se disputaient quelques graines sauvages cachées sous la mousse, et par intervalles le son grave des cloches apportait à l’oreille de Marguerite sa lointaine mélodie. Son inquiétude était grande : ces cloches sonnaient pour son mariage ; on allait s’apercevoir de son absence et la chercher : qu’allait-elle devenir ? Elle se le demandait avec terreur et n’osait se repondre. Tout à coup elle tressaillit ; un pas rapide comme celui d’un homme qui fuit retentissait sur la terre dans la direction de la cabane, et Michel Roczakoff, le serviteur de Georges, entra, la tête nue, les traits égarés. Georges se réveilla du sommeil réparateur qui avait succédé aux déehirantes émotions dela matinée. Michel lui parla vivement et avec force gestes, dans une langue que Marguerite n’entendait pas. Georgeslui traduisit les frayeurs de Michel.

— Il vient de rôder, dit-il, autour du village ; ma disparition au milieu de la nuit l’avait effrayé, et il s’était mis à ma recherche. Un violent émoi, à ce qu’il rapporte, a soulevé tout le village ; la grande place est pleine d’hommes et de femmes qui discutent avec chaleur, et il a vu une bande d’hommes armés se diriger vers le bois.

— C’est moi qu’on cherche, dit Marguerite avec calme ; car elle retrouvait sa force à l’approche du danger ; il ne faut pas qu’on me trouve ici ; je vais vous quitter.

— Vous savez ce que vous m’avez promis ? dit Georges avec un regard scrutateur.

Marguerite baissa les yeux : — Je n’ai qu’une parole.

— Vous ne l’épouserez pas ?

— N’avez-vous donc pas entendu que j’ai juré ?

— C’est bien ; je me fie à vous.

— Au revoir ! dit la jeune fille, en se disposant à partir. Ne sortez pas ; je reviendrai.

— Vous me quittez ainsi ? dit Georges, en essayant de l’attirer à lui pour l’embrasser.

Elle se dégagea doucement et lui dit : — Écoutez-moi, Georges : je vous aime ; je l’ai dit et je le répète. Aussi vrai qu’il n’y a qu’un Dieu, je ne serai la femme