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LE PRÉSENT.

sur le corps de Georges, dont l’œil mourant la contemplait avec passion. Ils passèrent ainsi quelque temps sans parler, s’enivrant à longs traits de ces délices où les âmes tendres se plongent en frissonnant ; puis Georges referma les yeux et murmura ces paroles :

— Laisse-moi mourir en paix. Tu l’as dit, tu veux être la femme d’un autre.

Cette plainte faible et à peine articulée, en venant mourir dans l’oreille de Marguerite, réveilla toutes ses douleurs. Elle souleva délicatement la tête du malade, et l’appuya sur ses genoux tremblants.

— Georges, reviens à toi ; c’est moi qui t’en prie, Marguerite que tu aimes et qui t’aime !

— Tu m’aimes ! Quel bonheur ! Est-ce vrai ? est-ce bien vrai ? Ai-je bien entendu ?

— Oui, mon Georges, oui, je t’aime, je n’aime que toi !

Et Marguerite effleura d’un baiser son front pâle.

— Mon Dieu ! que je suis heureux ! dit le jeune homme en essayant de se soulever.

— Allons, ne bougez pas ; votre belle équipée va vous valoir encore un mois de repos forcé, dit Marguerite en souriant d’un sourire douloureux ; car elle avait la mort dans le cœur, en se rappelant que le jour qui se levait était le jour fixé pour son éternel esclavage.

— Tu dis que tu m’aimes, et tu vas être la femme d’un autre ! Je veux mourir ! Laisse-moi. Ou plutôt, non, je ne veux pas mourir. Je veux le tuer, lui, cet homme, mon rival !

Ces transports épuisaient Georges. Marguerite tremblait que sa faiblesse ne pût supporter les violentes émotions qui agitaient sa frêle et saignante enveloppe.

— Sois calme, dit-elle en ramenant sa tête sur ses genoux, sois calme ; je n’aime que toi.

— Eh bien ! si tu n’aimes que moi, il ne faut pas épouser cet homme. Jure-moi que tu ne seras pas sa femme, jure-le…

À ces mots, Georges, par un effort surhumain, se leva debout, la poitrine rougie ; il attira sur son sein blessé la jeune fille tremblante, et répéta d’une voix forte :

— Jure-le !

Puis sa tête se penchant, Marguerite levant la sienne, les yeux noyés d’amour, ses lèvres erraient sur les cheveux de la jeune fille, sur son front, sur son regard humide, sur sa bouche palpitante, et qui criait :

— Grâce ! grâce ! laisse-moi !

— Jure ! répéta-t-il à voix basse, les dents serrées, haletant, à bout de forces.

— Je te le jure ! dit Marguerite, embrasée à ce foyer d’amour qu’exhalait la respiration chaude et entrecoupée de son amant.