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LE PRÉSENT.

qu’une vertu, l’éloquence ; c’est avec de l’éloquence, dit-il, qu’il a fait sa philosophie, qu’il fait de l’érudition et qu’il fait de l’histoire. La sentence, est dure. M. Cousin, philosophe, est loin d’être parfait sans doute, et je ne viens pas défendre la théorie célèbre des quatre systèmes successifs qui tour à tour et nécessairement apparaissent dans l’histoire de toute philosophie ; pas davantage je ne prendrai fait et cause pour sa psychologie et la division du moi en intelligence, sensibilité et volonté ; mais ce que je ne puis admettre c’est l’irrévérence avec laquelle le jeune et audacieux métaphysicien attaque la tendance générale de cette philosophie. Elle est spiritualiste, et c’est son tort, dites-vous. C’est son honneur et sa vérité. Vous attaquez la théorie de la raison ; de toutes les théories de M. Cousin c’est la plus inattaquable. Le sens commun me crie et la réflexion me prouve que j’ai en moi certains principes, universels et absolus, qui naissent à l’occasion des objets contingents et finis, mais qu’aucun objet fini et contingent ne peut contenir et me donner. Entassez syllogisme sur syllogisme, poussez à bout tout l’effort de votre logique, vous n’arriverez point à me démontrer le contraire. Or, ce point admis, et vous ne pouvez vous refuser à me l’accorder, si l’ivresse du raisonnement ne trouble votre intelligence, vous êtes malgré vous confiné dans le spiritualisme. M. Taine fait un autre reproche à M. Cousin, celui d’avoir parcouru successivement plusieurs systèmes et de n’avoir point tout d’abord immobilisé sa pensée dans les conclusions de ses premières recherches ou de ses premières lectures. Il le promène malicieusement des Écossais à Hégel, de Hégel à Schelling, de Schelling à Descartes ; le blâme n’est pas fondé. Un système de philosophie ne jaillit point tout armé, comme une Minerve, de la tête de son fondateur. Tout ce que vous pouvez demander au philosophe, c’est s’il a abouti, s’il s’est fixé, arrêté en une croyance. M. Cousin vous répondra par son livre du vrai, du beau et du bien. Là est sa doctrine, son dernier mot. Que dans ses pérégrinations à la recherche de la vérité il ait varié, changé, qu’importe ? Citez-moi un philosophe qui n’ait point de ces troubles, de ces contradictions. J’affirme hardiment qu’il n’y en a pas un. M. Taine, sévère pour le philosophe, est presque injuste pour l’historien, pour l’auteur de ces charmantes biographies de mesdames de Longueville, de Sablé, de Hautefort, etc., etc. Il raille son goût pour le XVIIe siècle et conteste ses jugements littéraires à cet endroit. Il semble que pour lui toutes les littératures se vaillent. Elles sont, dit-il, l’expression de leur époque, la manifestation des idées dont un temps est travaillé ; à ce titre elles sont toutes également curieuses. Curieuses, sans doute, mais quoi ? N’admettez-vous pas qu’une langue a, comme un homme, comme un peuple, son point de maturité et de perfection, avant lequel elle n’a pas encore toutes ses qualités, après lequel elle ne les a plus ? Or, à quel moment la langue française a-t-elle atteint ce point-là ? M. Cousin le place au XVIIe siècle, et il a raison. Ni la langue de Montaigne, ni celle de Voltaire n’ont l’ampleur, la gravité, la clarté, la force, l’abondance de celle de Pascal, de