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LES PHILOSOPHES AU XIXe SIÈCLE.

solide, ni apparence même de science sérieuse. Aussi, pendant tout l’Empire, alors même qu’elle était en suspicion au maître que la France s’était donné, elle était peu écoutée et peu influente. Du sang et de la boue dont elle était sortie, elle cheminait maintenant dans la poussière, vieille, aride, courbée, ruminant des substantifs, mâchant des adjectifs, et, grâce à ce régime peu fortifiant, près de rendre le dernier souffle. Elle fût morte alors, que personne ne s’en fùt inquiété. D’autres idées que celles qu’elle représentait, et dont elle continuait à embrasser l’ombre presque évanouie, envahissaient les esprits et les cœurs. Après le doute et la raillerie venait le besoin de croyance et de respect. Mme de Staël et M. de Chateaubriand s’étaient levés. Ils semaient à pleines mains autour d’eux l’enthousiasme, les sentiments généreux, et l’affirmation de ses hautes vérités naguère encore réputées chimères et illusions. On les écoutait et on tendait avidement son âme au grain de la bonne parole. — Sous peine de déchéance définitive, la philosophie était obligée d’entrer dans ce mouvement, elle y entra, avec M. Royer-Collard.

Un demi-siècle s’est écoulé depuis cette époque, et après une renaissance brillante, une carrière nouvelle parcourue en pleine lumière et en plein éclat, voici que la philosophie a glissé de nouveau dans le même marasme et la même indifférence publique. Sont-ce les dévouements sérieux, les grands esprits qui lui ont manqué ? Les noms de MM. Cousin et Jouffroy sont là pour répondre. Faut-il en faire honte à l’insouciance de notre temps et à son dédain de la spéculation ? Le succès des livres éloquents de M. Jules Simon prouve le contraire. Faudrait-il donc s’en prendre à la science elle-même, à son impuissance, et reconnaître que le grand arbre de la philosophie ne porte que des fruits d’un éclat trompeur à l’œil, mais vides sous la dent ou pleins de cendre et d’amertume ? J’en ai peur.

Il y a deux parts dans le livre de M. Taine, l’une toute critique, où il prend à partie MM. Royer-Collard, Cousin et Jouffroy, et admirable de netteté et de profondeur ; l’autre moindre en étendue et où il propose le remède à côté du mal. Celle-ci me semble moins concluante. Au fond, M. Taine n’est pas autre chose par les théories qu’il expose en regard de celles qu’il détruit qu’un élève de ces philosophes méprisés dont je parlais tout à l’heure ; c’est un retour à l’analyse de la sensation, à la philosophie purement expérimentale et algébrique ; je ne crois pas qu’un demi-siècle passé sur cette poussière lui ait rendu la vie et ait ranimé ces ornements desséchés. M. Taine aura beau fouiller ce tombeau et secouer ce cadavre, il ne se relèvera pas. Suivons-le dans sa critique. Elle est forte, vive, amusante, je la trouve un peu sévère.

M. Cousin, l’illustre vieillard, est celui sur qui tombe le plus serré la grèle d’arguments et d’attaques du terrible jeune homme.


Pulsat, versatque Dareta.


Il ne lui fait grâce ni comme historien, ni comme philosophe. Il ne lui accorde