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LE PRÉSENT.

de se dire adieu ! Dans ces trois ou quatre heures suprêmes, il y a eu des embrassements, des froissements, des étreintes désespérées, et leurs habits devaient s’en ressentir. Ce n’est qu’un détail, je le sais ; mais ce sont ces détails qui donnent la vie. — J’y étais, dit ce vieux soldat à sa fille, en lui montrant à la muraille de sa chambre un tableau de bataille, et rien qu avec cela, un rien, M. Willems fait un petit chef-d’œuvre de genre. Le vieillard est vert encore, il n’a pas perdu un pouce de sa taille ; sa longue moustache blanche est bien fournie, et une épée de taille démesurée bat sa jambe roide et forte. Quelle épée, bon Dieu ! et quels ravages elle a dû faire dans son temps ! Voilà qui est bien déjà et qui me plaît. Attitude, gestes et pose, tout sied. Mais voici qui est ravissant, c’est cette jeune fille. Elle a d’abord une robe divine, un amour de robe, comme toutes les femmes de M. Willems ; mais surtout elle a des yeux, un port de tête et un visage ravissants. Sur ce visage, sous le frais tissu de cette peau blanche, trois ou quatre sentiments se lisent comme dans un livre grand ouvert. Elle est fière d’avoir un tel père, elle est émerveillée de ses récits, et aussi il semble qu’elle craigne pour lui les dangers passés pourtant et fixés par quatre clous à la paisible muraille de la salle à manger. — Quoi ! mon père ! Vous étiez là ! dit-elle. Vous n’aviez pas peur ? Comme vous étiez brave et comme vous étiez imprudent ! Vous auriez pu être tué ! savez-vous bien ? Et les yeux de la belle enfant se remplissent de larmes. — Adieu, belle adorée, et consolez-vous. Vous voyez bien qu’on n’en meurt pas toujours puisqu’il en est revenu. La première fois que je verrai une des blondes enfants de M. Greuze, je lui ferai vos amitiés. Vous devez être un peu sa parente. Adieu, et heureux celui qui vous possédera !

M. Benouville a été heureusement inspiré en allant chercher un sujet de composition dans les deux Pigeons de La Fontaine. Si je lui disais que son tableau vaut la fable, il ne me croirait pas, mais ni l’expression, ni le sentiment, ni l’invention ne lui ont fait défaut. Il fait nuit, et le temps est mauvais ; c’est un de ces temps qui font dire aux bonnes gens, les pieds tranquillement posés sur les chenets, devant un feu bien clair et bien pétillant : Que je plains les pauvres voyageurs qui sont sur les routes à cette heure-ci. — Or, le voici qui arrive, le pauvre voyageur. Pâle, exténué, les habits en lambeaux, appuyé d’une main sur son bâton, les cheveux en désordre, il vient, il se traine sur ses pieds ensanglantés ; il soulève le marteau de la maison et il frappe. Il était temps qu’il arrivât, un pas de plus, il n’aurait pu le faire. Cependant, à moitié vêtue, les yeux noyés dans les moiteurs du premier sommeil, croisant sur son sein ses vêtements jetés à la hâte, l’amante délaissée pour le voyage et les aventures vient ouvrir. Ils n’ont point la force de se dire une parole ; ils se regardent. Quel poëme de douleurs raconte ce regard éteint du jeune homme ! Quel poëme d’amour contient celui de la jeune femme ! Sur leurs têtes voltigent les pigeons symboliques, nous racontant l’origine et le sens de cette touchante composition. Il est fâcheux que