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LE PRÉSENT.

d’une lampe d’argent. Le silence était tel que Georges et Marguerite, rapprochés l’un de l’autre, pouvaient entendre le battement précipité de leurs cœurs dans leurs poitrines agitées. Les grands chènes étendaient sur eux leurs branches dépouillées comme des bras protec’eurs ; de temps en temps de lointains aboiements arrivaient à leurs oreilles, et affaiblis par la distance, semblaient dans ce silence solennel les plaintes sinistres de voyageurs en danger. Quelques étoiles brillaient dans un ciel sans nuages, et l’eau de l’étang resplendissait sous leur timide lueur comme l’écaille argentée de quelque grand monstre endormi.

Marguerite avait obéi à Georges, et tous deux marchaient appuyés l’un sur l’autre. La première elle rompit ce silence qui l’embarrassait comme pour échapper à ses pensées par le bruit de ses paroles.

— Vous vous fatiguez, monsieur, il faut rentrer.

— Non, Marguerite, restons encore ; je suis si heureux ! Quelle belle nuit ! quelle ombre charmante éclairée doucement par le regard des étoiles ! Que je suis bien ainsi auprès de vous ! Non, je ne suis plus malade ; je suis fort, je suis heureux, plus fort et plus heureux que quand je m’égarais un fusil à la main dans les forèts de pins de mon pays. Quelque chose me manquait alors ; à présent, rien ne me manque, dit-il, en enveloppant la jeune fille d’un regard amoureux.

— Puisque vous êtes guéri, monsieur, il faut nous quitter. Vous n’ètes pas en sûreté ici. Il faut rejoindre vos camarades. Tous les jours il passe de nouveaux détachements, joignez-vous à un et continuez votre route.

Georges regardait Marguerite avec stupeur.

— Ainsi, vous me chassez encore.

Il prononça ces paroles en chancelant, et telle était son émotion, qu’il fut obligé de s’asseoir sur un vieux tronc d’arbre qui avait roulé abattu par le vent jusqu’au bord de l’étang. Marguerite resta debout devant lui.

— Je vous répète que je ne vous chasse pas, je n’en ai pas le droit, mais puisque vous ètes guéri, comme vous le dites vous-même, je ne vois pas ce qui peut vous retenir. Vous ètes notre ennemi ; rejoignez votre corps et oubliez les quelques malheureux jours que vous avez passé blessé dans cette vilaine chaumière.

— Cruelle enfant ! Vous ne me comprenez donc pas. Moi, guéri ! guéri ! quelle dérision ! Sans doute, cette plaie commence à se fermer, fit-il en frappant sa poitrine, mais vous en avez causé une autre, bien plus profonde et inguérissable.

— Assez, assez, monsieur ; je ne veux pas en entendre davantage.

— Marguerite, ne t’en va pas, dit le jeune homme avec désespoir, en retenant la jeune fille qui avait fait un mouvement pour s’éloigner. Ne t’en va pas, ou bien je meurs à tes pieds.

Une sueur soudaine glaça son front, ses yeux se fermèrent, et si Marguerite ne l’eût retenu, il fût tombé à la renverse du tronc d’arbre sur lequel il était assis.

— Revenez à vous, je vous en prie, dit-elle.