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LE PRÉSENT.

paule du vieillard, plus légèrement sur celle de Marguerite. Pierre Jarry était devant eux.

— Eh bien ! que faites-vous là ?

Le vieillard releva sa tète pâle, passa sa main sur son front argenté de quelques mèches de cheveux qui y retombaient en désordre, et sans parler montra les ruines à Pierre Jarry.

— Morbleu, les coquins ! Ils ont brûlé votre maison. C’est bien. Amenez-les ici, vous autres.

Les rangs des jeunes gens partis avec Pierre et revenus avec lui s’ouvrirent, et deux soldats dans la force de l’âge, revètus du costume russe, furent poussés devant la troupe.

— J’ai bien fait de les garder jusqu’à présent, dit Pierre. À genoux ici, malheureux !

Les deux hommes hébétés, et ne comprenant point les paroles de Pierre, mais bien son geste menaçant, regardèrent autour d’eux avec angoisse. Marguerite poussa un grand cri et s’élança vers eux, puis elle leva les mains au ciel ; elle ne les connaissait pas.

Cependant, de tous côtés, on s’était réuni autour de ce groupe, et des clameurs terribles se faisaient entendre. — Des Russes ! des Russes ! Fusillons-les, fusillons-les ! — Oui, là, sur la maison qu’ils ont brûlée.

Le cercle se resserrait autour des deux malheureux ; leurs visages pâles devenaient livides, leurs dents claquaient de terreur, leurs mains se rapprochaient comme pour supplier, et ils cherchaient des yeux avec épouvante, dans cette foule, quelque visage sur lequel une apparence de pitié semblât poindre. Marguerite était devant eux les joues humides, le sein gonflé ; ils se précipitèrent à ses pieds et baisèrent le bas de sa robe.

— Grâce pour eux, dit-elle, Pierre ! Mon père !

La foule s’impatientait et criait : — Vite ! finissons-en.

Des fusils s’abaissèrent, des fourches allèrent chercher les poitrines ennemies ; Marguerite joignit les mains et dit : — Mon père, vous voyez qu’ils nous demandent pardon.

Le vieillard, pendant toute cette scène, était resté muet et presque indifférent ; à ce cri de sa fille, son œil s’enflamma ; il l’écarta rudement de la main : — Point de pitié ! C’est sous ce toit que ta mère est morte, sous ce toit que tu es née, et il poussait du pied les débris calcinés, je comptais y vivre et y mourir ; point de pitié pour eux, la mort !

— La mort ! la mort ! hurla-t-on en chœur.

— Ce n’est que justice, dit le père Grandpré, devenant plus calme. Ils nous ont tués chez eux, c’était bien ; tuons-les chez nous ; qui peut dire que c’est mal ?

Les deux malheureux dont le sort s’agitait, cherchaient à surprendre sur les