Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
M. DE CASSAGNAC, HISTORIEN.

vernement, il n’a pas toujours eu la force, la fermeté désirable ; malgré tout, cependant, l’avenir le vengera des injustices qu’il a subies. L’abnégation en politique est-elle une vertu, est-elle un vice ? Je ne sais, peut-être même penserais-jele contraire ; il y a toutefois dans l’abnégation l’exercice d’une des forces les plus rares et les plus estimables de la nature humaine. M. le général Cavaignac a eu cette force dans une mesure peu commune ; il a eu l’occasion de la déployer au grand jour et sur un grand théâtre, c’en est assez, son nom ne sera point inscrit parmi les noms vulgaires. On ne dira point de lui grand homme d’État, grand capitaine, on dira honnète homme. M. de Cassagnac trouve-t-il que ce soit une médiocre louange ?

M. Changarnier succède dans l’intérèt du récit à M. Cavaignac. Le charme et l’intérêt de l’histoire est dans ses contrastes et ses oppositions continuelles de personnages. Rien ne ressemble moins à M. Cavaignac que M. Changarnier, et c’est encore une étrange physionomie. Espèce de sphinx africain, dévoué d’abord à la république, puis serviteur du président, puis espèce de palladium inviolable de l’Assemblée, légitimiste peut-ètre, orléaniste sans doute, fusioniste probablement, à coup sùr plein de mystères et de méditations ambitieuses pour son propre compte, il ne dit son dernier mot à personne, il se laisse caresser par tout le monde, il sourit à trois ou quatre partis à la fois, il ruse, il observe, il attend. Une manque ni de patience, ni de prudence, il manque de perspicacité. Ilne sait pas deviner, lui, l’homme du secret et de l’attente, la force contenue et le génie caché dans l’œil morne, la physionomie douce et l’attitude recueillie du président. Un jour, dans une réunion du conseil des ministres, il s’agissait de la répression prochaine d’une émeute montagnarde et d’un peu plus à la suite. Louis Napoléon venait de passer dans une pièce voisine : « Ah çà ! s’écrie le sphinx imprudent pour la première fois, ce n’est pas pour ce Thomas Diafoirus que nous allons travailler ? » Cette sottise portait en germe sa destitution et son exil.

Je n’ai pas le droit de suivre M. de Cassagnac dans toute la seconde partie de son œuvre, elle touche de trop près à la politique contemporaine ; je me bornerai à faire une remarque toute littéraire. Cette question a été débattue longtemps et l’est encore, je crois, si l’on peut mêler la comédie à la tragédie, si les parties humoristiques des grandes pièces historiques de Shakspeare sont ou ne sont pas déplacées. Les rhéteurs s’en donnent à cœur joie là-dessus. Qu’ils ouvrent le livre de M. de Cassagnac, ce livre d’histoire contemporaine, de l’histoire d’hier, et qu’ils absolvent Shakspeare. Jamais, dans ses fantaisies les plus imprévues, il n’a eu pareilles audaces de plaisant, de comique et de bouffonneries. Supposez qu’au lieu de M. de Cassagnac vous tenez Aristophane à la main ; au lieu de M. le pré-