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LE PRÉSENT.

la verve, assez de science, un peu de colère, et, ma foi ! ces articles en valent bien d’autres signés de plumes célèbres. Est-ce bien M. Mirès qui les écrit, entends-je dire un peu partout ? Pourquoi pas ? Qu’y aurait-il vraiment de singulier à ce qu’un financier à coup sûr habile, d’un esprit vraiment distingué, remuât lui-même un peu d’encre après avoir remué tant de millions, et griffonnât quelques lettres après avoir aligné tantdechiflres ? On aurait même pu croire, pendant un moment, que M. Mirès plantait là tout les livres de compte, M. Solar et le jeune M. Devina, pour aller loin du monde écrire un volume ou deux sur son passage aux affaires, tout comme un ancien ministre !

Mais non : vendredi dernier a eu lieu l’assemblée, annoncée depuis au moins un siècle, des actionnaires de la Caisse des chemins de fer. Il est arrivé ce qui devait arriver ! M. Mirès a rappelé ses intentions, confirmé son dessein, présenté pour tout de bon sa démission. Le conseil de surveillance, par l’organe du comte Siméon, a déclaré qu’on n’acceptait pas ; d’autres voix se sont élevées ; des adhésions par écrit sont venues, et M. Mirès, toujours comme un ministre, a obtenu un vote de confiance et retiré cette fameuse démission.

Ces grands financiers ! on les a durement attaqués, et l’on a eu bien tort. J’aurai, par ci par là, l’occasion de toucher à la Bourse, et d’expliquer quelques manœuvres en dévoilant quelques petits secrets. On verra que les millionnaires valent à peu près les pauvres, et qu’ils ne méritent pas tous les galères.

J’en connais un, pourtant, dont je voudrais écrire le nom en toutes lettres, — il n’y en aurait pas moins de cinq, il n’y en aurait pas plus de sept — et j’aurais plaisir à savoir ce que penseraient les lecteurs de sa générosité.

Il y a bientôt quinze années, un jeune sculpteur fit une grande statue, représentant — si je dis le sujet on saura le nom du banquier — représentant donc, n’importe quel berger ou quelle Ariane. L’auteur avait réussi son œuvre, mais, obscur, inconnu, il ne savait vraiment comment la vendre ou la placer. La mère du sculpteur, qui, comme dame patronesse de son quartier, se trouvait en rapport avec la femme du millionnaire, pria son fils d’envoyer, au susdit millionnaire, sa grande et haute statue qui crevait le plafond de son appartement bourgeois, et serait bien mieux à sa place et plus à l’aise dans un grand parc, au pied d’un escalier superbe, dans la cour d’un noble hôtel.

On envoya, le lendemain, la statue chez le banquier qui l’accepta et offrit à M. ***, l’auteur de l’œuvre,… des remercîments sincères, je le crois bien ! puisqu’ils étaient gratuits. Le sculpteur avait payé sa terre, son moule, le commissionnaire peut-être. Ses amis espéraient qu’on le ferait au moins rentrer dans ses frais, et qu’un millionnaire sait le prix du plâtre et du temps, s’il ne sait pas celui du talent. C’était il y a quinze ans !

Cette année, le sculpteur a les honneurs du salon. Il est, à ce qu’on dit, un des