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LE PRÉSENT.

beux et leur jambes cagneuses ? Ils vont, ils vont sans cesse, et sur eux sont accroupis leurs conducteurs pittoresquement drapés dans leurs burnous blancs. Ceci est la Vue de la plaine de Thèbes dans la Haute-Égypte. M. Gérôme a exposé une autre vue d’Égypte qui s’appelle Memnon et Sésostris. Ici c’est la vieille Égypte qui se dresse devant vous avec ses monuments impérissables : même désert, même lumière, impression différente. Tout à l’heure vous auriez volontiers suivi cette caravane dans sa marche pénible, il y a tant de vie dans ce défilé, et la vie attire ; ici vous n’éprouveriez qu’un besoin : vous coucher à l’ombre de ces pierres gigantesques et laisser là passer les siècles dans l’anéantissement du fakir indien. Voilà, à coup sûr, de la grande et belle peinture qui parle, qui remue, qui agite, qui saisit les yeux et fait penser l’esprit. Je ne peux guère que signaler les Recrues égyptiennes traversant le désert, la Prière chez un chef arnaute, les Pifferari, toutes toiles où le peintre a su réunir les physionomies les plus accentuées et les plus diverses dans leur saveur originale et native. J’arrive à la Sortie du bal masqué. C’est une matinée brumeuse, basse et froide du mois de février. La neige s’étend comme une nappe ou comme un linceul sur la terre et allourdit les branches maigres des arbres. Dans un espace découvert sur le premier plan, un Pierrot encore tout enfariné tombe aux bras de deux chicards ses amis. Il a eu une querelle au bal, il s’est battu, il a été blessé, son épée est à ses pieds et il va mourir. À la droite du spectateur, son adversaire s’en va au bras de ses deux témoins. L’idée est haute et belle, et elle a été admirablement rendue. Cette neige, ce froid, ce bois vous glacent et vous font entrer la tristesse dans le cœur. Le blessé en perdant son sang et sa vie fait effort pour revenir à son bon sens ; sur sa figure maigre et contractée par la douleur, où les deux yeux s’agrandissent démesurément, on suit la lutte de l’ivresse qui disparaît déjà et de la raison qui revient ; en mourant, il aura tout son sang-froid et tout son calme.

Dans le fond, on voit le fiacre qui l’a amené et qui va remporter son cadavre. Les deux rosses dont il est attelé ont l’air, dans la brume et le lointain, de deux ombres, de deux fantômes de chevaux. Il y a là un mélange de réalité grossière et de fantastique grotesque et triste qui fait une singulière impression. M. Gérôme a eu une heureuse idée dans cette Sortie du bal masqué ; il a eu à coup sûr plus de talent encore dans les tableaux que nous avons déjà analysés ou cités. Il a d’ailleurs dans le genre les honneurs de l’exposition.

On se presse fort aussi autour des printanières et fraîches créations de M. Hamon ; les femmes surtout s’extasient devant cette grâce, cette facilité, cette fralcheur, devant ces jeunes filles faites d’air, de lumière, qui, toutes blondes, sem-