Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/497

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
489
FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

On cherche à travers ce concert obstiné de voix insignifiantesla voix d’un honnête homme indigné, d’un Racine, d’un Boileau, d’un Bossuet, d’un Huet.

On sait déjà que Bossuet, s’il blâmait le pamphlétaire, estimait le littérateur et l’érudit. Boileau et Racine, bien qu’ils eussent échoué dans une démarche de conciliation au début de l’affaire, ne cessèrent jusqu’à la fin de témoigner à leur ancien ami un intérêt sincère et parfois touchant. Bussy-Rabutin lui écrivit, au fort de la querelle, une lettre pleine des termes les plus honorables et dans laquelle, tout en faisant ses réserves en faveur de La Fontaine et de Benserade, son ami injustement maltraité, selon lui, par Furetière, il se plaint d’avoir été poussé par ses adversaires à de telles extrémités et de n’avoir pu produire sa défense en justice.

Enfin Ménage, dans ses Anas, Ménage dont les lumières eussent été si utiles à l’Académie et à qui elle préféra Bergeret, concluait par ces quelques lignes qui paraissent être le résumé le plus lucide de toute l’affaire : « L’Académie tout entière a été sacrifiée à la passion de quelques-uns de son corps, je ne les nommerai pas, car il y en a qui sont de mes amis. M. de Furetière était un sujet à ménager : n’avait-il pas les rieurs de son côté ? et, excepté quelques intéressés de l’Académie, tout le reste lui donnait les mains. Cependant, et l’Académie, et lui, ont joué à la bascule, comme les enfants, sans pouvoir convenir d’un équilibre, qui leur aurait sauvé, à l’un et à l’autre, tant de mauvaises démarches dont le public se divertit. » (Ménagiana, t. 1er, p. 97).

Ce sont là à coup sûr d’illustres témoignages ; et certes, l’homme qui conserva jusqu’à la fin de sa vie de telles amitiés et de telles sympathies méritait d’ètre traité par ses ennemis avec plus d’égards. Mais l’Académie ne put jamais pardonner à Furetière d’avoir prouvé que pour un ouvrage de critique et de méthode un seul cerveau bien organisé valait mieux qu’une réunion d’esprits inégaux de savoir et d’aptitude.

Le roi ne voulut jamais consentir à ce que Furetière fut remplacéde son vivant. D’Olivet, ainsi que Tallemant, cherche à expliquer ce refus par un malentendu. Malheureusement les paroles du roi ont été conservées, et lui-même, d’Olivet, les rapporte : « Il se contenta de répondre que l’affaire devait suivre le cours ordinaire de la justice. » Peut-être Louis XIV avait-il été touché par le cri public ; et peut-être avait-il été frappé de ce qu’il y avait d’excessif dans le privilégeaccordé dix ans auparavant à la compagnie.

La Chapelle, qui succéda à Furetière, — un assez piètre auteur, pour le dire en passant, et donc l’élection fut plutôt acquise par le crédit du prince de Conti, son patron, que par le mérite de ses tragédies, — esquiva au moyen d’une allusion voilée le souvenir de son prédécesseur. Par lui fut inaugurée cette consigne du silence qu’observèrent religieusement après lui tous les écrivains officiels. L’abbé d’Olivet, après s’être si longuement étendu sur les torts de Furetière, ne croit pas