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LE PRÉSENT.

VII

Il mourut en effet l’année suivante, le 14 de mai, à l’âge de soixante-huit ans.

Il mourut désespéré sans doute, car rien ne dut lui garantir à ses derniers moments que l’œuvre de toute sa vie n’était pas perdue pour le public.

Certes, une telle mort et d’un tel homme était faite pour toucher les âmes et pour désarmer les haines. L’Académie ne désarma pas.

Il semble même que la mort de son ennemi ait donné une activité nouvelle à sa rancune. Les écrits calomnieux, qui du vivant de Furetière avaient circulé manuscrits et dont il s’était plaint tant de fois, s’imprimèrent. Dans le mois même où il mourut, la lettre de Tallemant l’aîné, où toutes les charges dont Furetière s’était défendu dans ses factums sont reproduites avec le ton d’une feinte impartialité, parut dans le Mercure.

On essaya même de se dispenser envers lui des formalités usitées depuis la création de l’Académie française pour les funérailles de ses membres. Il fallut l’autorité de la parole de Boileau pour rappeler les ennemis de Furetière à la décence et à la charité. Voici comment le fait est rapporté dans le Bolœana (p. 68).

« À la mort de Furetière, il fut délibéré dans l’Académie si l’on ferait un service au défunt selon l’usage pratiqué dès son établissement. M. Despréaux y alla exprès avec M. Racine le jour que la chose devait être décidée ; mais voyant que le gros de l’Académie prenait parti pour la négative, lui seul osa parler ainsi à cette compagnie :

« Messieurs, il y a trois choses à considérer ici : Dieu, le public et l’Académie. À l’égard de Dieu, il vous saura sans doute un très-bon gré de lui sacrifier votre ressentiment et de lui offrir des prières pour un mort qui en aurait besoin plus qu’un autre, quand il ne serait coupable que de l’animosité qu’il a montrée contre vous. Devant le public, il vous sera très-glorieux de ne pas poursuivre votre ennemi par delà le tombeau. Et pour ce qui regarde l’Académie, sa modération sera très-estimable quand elle répondra à des injures par des prières, et qu’elle n’enviera pas à un chrétien les ressources qu’offre l’Église pour apaiser la colère divine. D’autant mieux qu’outre l’obligation indispensable de prier Dieu pour vos ennemis, vous vous êtes fait une loi particulière de prier pour vos confrères. »

Ce qui frappe à travers tout ce débat, si long et si pénible, c’est de retrouver toujours en face de Furetière les mêmes hommes, toujours les mêmes noms plus ou moins inconnus, plus ou moins ridicules : Charpentier, Tallemant, Doujat, Rcgnier-Desmarais, Lavau, Boyer, etc., etc.