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FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

goniste des libelles remplis de calomnies grossières et de sales épigrammes, ne répondit jamais aux critiques qu’il fit de son ouvrage que par l’exhibition hautaine et silencieuse de son privilége.

Elle persista toujours à ne voir dans ce procès, que la publicité avait grandi, qu’une simple affaire de discipline intérieure, et à récuser toute juridiction qui n’était point la sienne.

Furetière a beau faire pour maintenir sa cause à la hauteur que le débat lui avait donnée, celle de la défense des droits du talent et de la science ; vainement il offre à l’Accadémie de retrancher de son Dictionnaire tout ce qui peut lui déplaire, de mettre entre guillemets, comme lui appartenant, à elle, tout ce qui, comme définition et comme exemple, peut se trouver commun aux deux ouvrages ; il va jusqu’à lui offrir son livre même, en consentant à le laisser publier sous le nom collectif de la compagnie. — L’Académie toujours impassible lui répond : « Vous avez violé la règle, je ne vous connais pas. »

On souffre à voir cet homme de mérite et de courage se débattre dans les ténèbres, frapper de porte en porte, aller du juge au ministre, et poursuivre de juridiction en juridiction un ennemi qui se dérobe et ne veut pas plaider.

Plus l’Académie fait la sourde et la superbe, plus Furetière déploie d’activité et d’insistance. Le 5 mai 1687 il avait obtenu la nomination de trois commissaires : car les précédentesentrevues, celle entr’autre du mois de janvier 1685 d’où, selon le dire de d’Olivet, Furetière sortit si abattu et où le président de Mesmes l’aurait condamné triplement, comme académicien, comme juge et comme ami, avaient été dérisoires. Les conditions posées par l’Académie étaient inacceptables. « Tout l’accomodementque m’ont proposé ces messieurs, dit-il, a été que j’allasse leur demander pardon ventre à terre et de leur sacrifier mon dictionnaire… Ils ne m’ont pas cru digne d’avoir un procès ni un compromis avec eux. Ils ont voulu être seuls juges dans la cause ! »

Le 15 juillet, le chancelier avait commis à l’examen du livre le président Cousin, un de ces magistrats lettrés comme il s’en trouvait tant alors, et que Furetière désigne dans un de ses factums parmi les écrivains dignes de faire partie d’une bonne académie.

Mais dès-lors le ton de Furetière est moins assuré et moins hautain. Il est aussi plus soumis et plus pressant ; et c’est d’une voix suppliante qu’il conjure le chancelier de hâter l’expédition du privilège sous les conditions qu’il accepte, et sans attendre l’achèvement de l’impression. C’est qu’alors Furetière se sentait vaincu ; c’est que ces trois années de lutte avaient épuisé sa santé et sa vie, et que ruiné, malade, paralytique, lui qui n’avait jamais transigé ni avec l’ennemi, ni avec le bon droit, ni avec la mauvaise fortune, il transigeait avec la mort.