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FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

le fondement et comme le texte du dictionnaire qui, en dépit de l’Académie, est encore aujourd’hui pour les gens de lettres l’autorité la plus grave et la seule véritable encyclopédie de la langue, est-il possible de soutenir que Furetière fut un brocheur de besogne et un compilateur sans conscience ?

VI

Le livre de Furetière était donc à lui et bien à lui. Il était capable d’en concevoir

le plan et de l’exécuter ; peut-être même alors en était-il seul capable. C’est de quoi l’Académie ne voulut jamais convenir, et ce fut son tort. Elle s’obstina toujours à confondre l’homme irascible, l’adversaire acrimonieux, le mauvais confrère si l’on veut, avec l’écrivain et l’érudit.

Car Furetière, si son livre ne doit rien à l’Académie, fut certainement dans sa conduite un mauvais confrère. Cet homme, membre d’une compagnie associée pour un travail important, qui, au milieu d’elle et presque sur sa table, lui fait sourdement concurrence, est nécessairement dans une situation qui n’est ni nette, ni droite. Ce privilège que Furetière attaque sans cesse comme surpris par la cupidité à la faiblesse d’un ministre caduc, ce privilège « monstreux, » comme il l’appelle, qui conférait à l’Académie le droit exclusif de publier un dictionnaire en faisant défense à tous de lui faire concurrence jusque par-delà vingt ans après la publication du sien, ce privilège existait bien réellement. Furetière a beau se vanter d’en avoir démontré l’invalidité ; cette faveur si excessive, si monstrueuse qu’elle nous paraisse aujourd’hui comme à lui-même, avait bien alors quelque raison d’être. On devait trouver tout naturel en ces temps de monarchie absolue que le roi accordàt des priviléges extraordinaires à un corps protégé par lui et s’occupant pour la première fois de ce grand travail de fixer la langue.

Furetière le savait bien. Ce qui le prouve, c’est le silence, le secret dans lequel il accomplit son œuvre pour ne la montrer que soudainement et un peu par surprise, — on peut bien le lui dire à son tour, — au moment d’en solliciter l’impression. Je veux bien ne pas croire à la petite manœuvre, éventée par Charpentier, toujours et de plus en plus suspect, d’un mot laissé en blanc dans le titre et ajouté après la concession du privilége. Toujours est-il qu’en cette occasion Furetière se crut obligé à de certaines précautions, à une certaine adresse. Il attire chez lui son censeur, il le régale, il le grise. La comédie est excellente ; mais assurément Furetière n’aurait pas pris tant de peine, s’il ne se fût agi que d’une formalité ordinaire. Il est évident qu’il se sentait gêné par quelque chose de plus fort que la jalousie de ses confrères.

Aussi dès que la glace fut rompue, le privilége de vint-il le but de ses attaques