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LE PRÉSENT.

non-seulement les gens médiocrement lettrés, mais même les plus savants quand ils tombent sur des matières qui ne sont pas de leur profession. On peut dire même que sans son secours on ne pourra pas entendre l’histoire, ni l’ancienne milice, ni la vieille jurisprudence des ordonnances et des coutumes, et il nous arriverait la même chose qu’aux Romains, qui du temps de Cicéron, n’entendaient plus les lois des douze tables, ni les vers Saliens composés par Numa, comme témoigne Quintilien… Ainsi tant s’en faut que le Dictionnaire universel fasse tort à celui de l’Académie, qu’au contraire il lui fera honneur. »

La différence d’intention et de plan est déjà parfaitement saisissable dans les extraits que Furetière a donnés en regard les uns des autres, de son propre dictionnaire et de celui de l’Académie. Il suffit de comparer l’étendue donnée dans l’un et dans l’autre à chaque lettre, la variété des acceptions, le nombre des étymologies, la différence de ton et de style, de remarquer le soin avec lequel Furetière recueille, recherche tous les termes propres aux sciences, aux arts, à l’industrie, etc., soin que Charpentier lui reproche, en le ridiculisant, pour être convaincu que le plan du Dictionnaire universel était bien distinct de celui de l’Académie, sinon dissemblable.

S’il fallait absolument produire en faveur de Furetière et de son livre un témoignage contemporain, n’aurions-nous pas celui de Bossuet, cité par Furetière, il est vrai, mais dans des circonstances non suspectes, après que scandalisé comme évèque et outré comme académicien de la vigueur de ses réponses, l’illustre prélat se fût prononcé contre lui. « J’ay été fort surpris, écrit Furetière au chancelier, quand j’ay sçeu par M. Lemaistre de Ferrières que… Monsieur de Meaux vous avoit fait entendre que j’étois rebelle à vos ordres et qu’il falloit employer votre autorité contre moy… J’avois esté fort satisfait d’une conférence que j’avois eüe avec lui à Versailles où j’estois allé exprès pour lui faire examiner mon livre. Elle fut si longue qu’il ne me resta plus de temps pour vous en aller rendre compte et vous saluer : j’en reçus des éloges et des admirations au-delà de mon mérite, je le priay de me marquer les endroits qu’il jugeroit à propos de retrancher, il me répondit qu’il n’avoit pour cela un pouvoir spécial de l’Académie ; cependant il m’assura que si la chose dépendoit de luy seul, et que s’il estoit chancelier, il m’accorderoit cent privilèges pour un. »

D’ailleurs, et pour en finir, toutes ces accusations de larcin, de plagiat, étaient bonnes tout au plus pour les contemporains, alors qu’on pouvait encore espérer de persuader au public que le Dictionnaire universel était une compilation inepte, et son auteur un ignorant. Mais aujourd’hui, après que le livre a eu trois éditions, que des grammairiens tels que Basnage et Huet[1] n’ont pas dédaigné de travailler à son perfectionnement ; après que les Pères de Trévoux en ont fait

  1. Non pas l’évêque d’Avranches : celui-là était un ministre de la religion réformée, réfugié en Hollande.